#UneReponseDeGauchePourNawak contre le flirt avec l’extrème-droite.

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Un grand merci à Withelia_h pour l’image d’illustration de cet article ! (Lien de son compte deviantart)

A tous.toutes mes camarades de toutes les GAUCHES, afin que ce cas puisse servir d’exemple et aider à la lutte contre la grossophobie et toutes les autres discriminations. Force et honneur pour l’apologie de l’humanité !

NB : Ceci est une réponse au texte de Nawak mis sur son blog. A noter que son auteur est un homme cis [1](allié féministe), très gros (sous-entendu pas avec 10 kilos en trop) et étudiant en sciences politiques qui a longtemps usé de bienveillance à son égard. A titre d’information et de précision, ce n’est pas parce que nous avons une reconnaissance dans l’opinion en tant qu’homme de gauche que nous le sommes. Ëtre de gauche, ce n’est pas un titre, pas une distinction. Il s’agit d’une exigence morale que nous devons nous imposer à chacune de nos paroles et de nos actes pour faire progresser le combat pour l’apologie de l’humanité face aux pouvoirs de l’argent, de la haine et de la peur. Aussi face aux oppressions qui touchent certains et surtout certaines. Je précise que je condamne toute menace, tout propos violent à l’encontre de la personne même de Nawak comme cela est le cas de la quasi-totalité de ses détracteurs-trices.

A noter que par choix militant, cet article est écrit en écriture dite inclusive. Aussi, étant en plein apprentissage, veuillez m’excuser si vous parvenez à trouver des fautes dans l’application de cette écriture voire même des fautes de grammaire …

#UneReponseDeGauchePourNawak

Restituons les faits : il y a une semaine, Nawak postait un dessin sur tous ses réseaux dont Twitter. Très vite, de nombreux-se militant-e-s anti-grossophobie sur Twitter ont déploré son caractère grossophobe. Ne répondant pas aux critiques dans un premier temps et niant de bout en bout les ressentis que nous pouvions avoir, Nawak a usé de nombreux procédés malhonnêtes pour les invalider (voir partie 3) quitte à mentir par omission à ses proches, à utiliser une forme de « Pathos » exécrable en nous qualifiant de trolls aux méthodes fascisantes. Cet article vise à faire tant de l’éducation populaire qu’à dénoncer ce comportement. Il permettra aussi aux personnes qui suivent Nawak de se faire une idée plus réelle de ce qui s’est passé sur ce réseau social.

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L’objet du délit.

 

Aussi, j’appelle tous.toutes les militant-e-s anti-grossophobie et les sympathisant-e-s, toutes les personnes qui auront lu cet article à le relayer et à participer à une campagne d’interpellation avec le hashtag #UneReponseDeGauchePourNawak. Ceci dans le but tant de promouvoir le combat anti-grossophobie que Nawak aura contribué à tourner en dérision via son attitude que de donner une version des faits beaucoup plus honnête que celle qu’il aura pu donner à ses sympathisant-e-s. Oui, Nawak est un dessinateur qui a beaucoup agi par ses dessins contre La Manif Pour Tous, pour les droits des migrants et pour de nombreuses autres causes progressistes. Néanmoins, comme rappelé plus loin dans l’article, son irrespect est devenu problématique et UneReponseDeGauchePourNawak semble alors plus que nécessaire.

I/ Qu’est ce que la grossophobie ?

[Si vous voulez simplement vous informer sur les griefs portés tant à Nawak qu’a son dessin, je vous invite à vous rendre directement aux parties 2 et 3] L’objectif de cette partie n’est pas de constituer un article universitaire (Aussi, vous ne verrez que très peu de liens vers des études sociologiques ou articles, ouvrages en sciences politiques). Elle permettra néanmoins –grâce à des éléments historiques, politiques tirés d’une recherche en cours-  de dresser un argumentaire solide contre les discours lus sur la question et défendant –parfois malgré lui- la position de Nawak.

  • Historique et quelques manifestations anciennes.

Le terme « grossophobie » est apparu pour la première fois en France en 1994 sous la plume d’Anne Zamberlan (Mon coup de gueule contre la grossophobie), co-fondatrice 5 ans plus tôt avec Françoise Fraïoli (elle-même co-fondatrice du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids rassemblant divers professionnels de santé et citoyen-nes autour de ces questions) de l’association Allegro Fortissimo. En 1987, dans un article de la revue Communications, le sociologue Claude Fischler évoquait déjà les maux d’une société « lipophobe » qui en rejetant l’obésité rejetait aussi les obèses.[2] A cet égard, sans entrer – pour le moment – dans le détail, la question de la pathologisation des corpulences relève d’une importance cruciale dans l’accentuation du stigmate qu’expérimentent les gros-se-s.

Ce terme de « grossophobie », qui faute d’un rapport de force militant suffisant n’a pu se populariser (à contrario des militant-e-s LGBT qui ont eux.elles réussi à populariser le terme « homophobie »), peut être défini ainsi (n’étant pas défini dans un quelconque dictionnaire, cette définition est strictement personnelle) : « La grossophobie est l’hostilité, explicite ou implicite, envers des personnes grosses. Elle englobe donc les préjugés véhiculés à leur encontre ». Concernant la stigmatisation de femmes et d’hommes qui, sans être minces, ne peuvent raisonnablement pas être qualifiés de gros-se-s, je préfère reprendre le terme « lipophobie » de Claude Fischler en lieu et place de celui anglophone « Fat-shaming ». Là aussi, nous pourrions le définir ainsi : « La lipophobie est l’hostilité, explicite ou implicite, à l’encontre de l’adiposité corporelle ». Une nouvelle fois, cette définition est strictement personnelle. Cette utilisation des « phobies » peut paraître excessive. En effet, on ne craint pas une personne grosse en étant grossophobe comme une araignée en étant arachnophobe. Néanmoins, il me semble utile de bien distinguer ce qui relève de phobies psychologiques qui relèvent d’un individu et -dans une certaine mesure- n’engage que lui dans sa propre histoire, et des phobies sociales qui, elles, relèvent de représentations passées et présentes qui engagent toute la société.

Comme beaucoup de ces termes, l’origine de la construction sémantique de celui de « grossophobie » est à trouver aux Etats-Unis d’Amérique. Dans les années 60, le grand mouvement pour les droits civiques qui allait s’étendre au monde entier a contribué à l’essor de la politisation de groupes sociaux dominés et stigmatisés (dans tous les domaines, y compris culturel, comprenant les noir-e-s, les femmes, les homosexuels et plus largement les LGBT etc)  dans ce pays. Pourtant, ce que l’on sait moins, c’est que parmi tous ces groupes se trouvaient des hommes et femmes gros-se-s qui défilèrent avec tous les autres, tant en tant que concerné-e-s par un stigmate que par solidarité avec l’ensemble de ces mouvements. A cet égard, il n’est pas étonnant que seulement deux semaines après les émeutes de Stonewall (série de manifestations contre les violences policières faites aux homosexuels) se soit tenu le congrès fondateur de la NAAFA -initié par William Fabrey et Llewellyn Louderback- (d’abord « National Association to Aid Fat Americans » puis dans les années 80 « National Association for Advance Fat acceptance ») qui est devenue l’association historique représentant le mouvement « Fat acceptance ». Par ailleurs, l’histoire de la Fat acceptance est beaucoup liée à celle de l’émergence du mouvement « Queer » (voir ouvrages et articles de Charlotte Cooper). Un exemple de cette solidarité entre groupes est le second point du Fat Liberation Manifesto [3]écrit par Judy Freespirit et Aldebaran, membres du mouvement « Fat underground » qui pouvait être considéré comme la branche la plus politisée et radicale de la Fat Acceptance (novembre 1973) :

« We see our stuggle as allied with the struggles of other oppressed groups against classism, racism, sexism, ageism, financial exploitation, imperialism and the like ». Pour rappel, nous étions à ce moment toujours en période de guerre froide ce qui témoigne de l’audace de leurs auteures.

Il faut bien comprendre que la stigmatisation des gros-se-s était bien réelle : outre la sociologie changeante (passage progressif de la surreprésentation dans les classes aisées à celles dans les classes populaires) et le culte de la minceur qui entraînaient déjà un rejet, on les retrouvait souvent exposés dans les cirques humains aux côtés des nain-e-s et des géant-e-s. Aussi, au début du 20ème siècle, et cela dans plusieurs Etats du pays, ont été adopté ce qu’on appelle des « Ugly Laws » qui ont permis à la police d’arrêter et d’incarcérer … Des personnes jugées trop grosses ! Par ailleurs, cette sorte de « pénalisation » de la grosseur est très ancienne : ainsi, chez les peuplades celtes dont notamment les gaulois, l’homme jugé trop gros devait payer une amende [4]et s’il ne mincissait pas au cours de l’année, l’amende doublait[5]. Sans doute un Obélix ou un Abraracourcix n’auraient donc pu exister … Plus lointain de nous encore Garnier-Pagès écrit dans son Dictionnaire politique (1842) que les spartiates ayant réduit en esclavage les Ilôtes (population autochtone de Laconie et de Messénie), les esclaves qui présentaient une santé vigoureuse, un certain embonpoint étaient condamné à mort et le maître « négligeant » était sommé de payer une amende, « coupable envers la société, le maître imprudent qui permettait à ses esclaves de se trop bien porter. »[6]

Afin de revenir à l’histoire récente, le terme « grossophobie » est donc la traduction francophone directe de « Fat Phobia » utilisé pour la première fois au début des années 70 soit peu de temps après la création de cet autre néologisme qu’est « Homophobia ».[7] Qu’on se le dise, on ne peut pas nier la construction du terme « grossophobie » sans nier celle de celui de « homophobie » comme ont pu le réclamer –voire le réclament toujours-  l’extrême-droite et certains linguistes et juristes conservateurs. La question des phobies sociales doit être prise dans son ensemble et surtout dans les histoires de celles-ci. Il est compréhensible que cela puisse choquer en France ou l’analyse matérialiste a eu longtemps un monopole en terme de compréhension du monde et de ses inégalités. Néanmoins, sans nier cette tradition essentielle (et utile en ce qui concerne la grossophobie puisque sociologiquement aussi marquée que la position sociale de ceux qui en sont victimes), la vision américaine libérale est une nouvelle clé de compréhension et devrait être utilisé par les militant-e-s de l’égalité comme un moyen de faire converger un plus grand nombre de luttes sans pour autant tomber dans les travers d’une sorte d’identitarisme de gauche.

Extraits d’un témoignage spontané reçu durant la période où j’écrivais de nombreux messages concernant le dessin de Nawak (le message n’est pas corrigé, sauf possible souci d’incompréhension, afin de garder son authenticité)

 

Bonjour, je viens juste pour vous remercier d’exister, merci beaucoup de vous battre contre la grossophobie étant moi même en surpoids et lycéenne c’est très difficile de s’accepter. Vous me redonnez le sourire. Portez vous bien ! (…) J’ai vécu plus fréquemment de la grossophobie lors de mes années de primaire et de collège et désormais moins au lycée. (En tout cas devant moi) Car depuis le lycée je me défend et je frappe les gens qui m’importunent, je sais que ce n’est pas un bon comportement mais j’avais passé le plus clair de mon enfance à me laisser faire. Et j’ai dit stop. J’ai subit beaucoup de grossophobie et j’en subit encore de ma famille surtout et c’est ça le plus blessant. Mais je ne sais pas si je souhaite rentrer dans les détails de toutes les attaques que j’ai subit car mon but c’est d’aller de l’avant et m’accepter. Donc je ne sais pas si ressasser mes attaques envers mon physique est judicieux (…) Hem je me souvient plus très bien mais je crois que mon prof d’art plastique nous laissait seul car il devait aller voir son bébé qui était malade on était alors en autonomie. Je travaillait à ma table (seule au fond de préférence). Et ils commcèrent à discuter sur le poids et la maigreur en disant leur poids. Une fille dit « moi je pèse 60 kilos » et elles commencèrent à dire « mais c’est trop ! tu devrais maigrir un peu pour moi c’est excessif 60 kilos je perdrait du poids ». Sans se soucier de moi qui pèse bien évidemment beaucoup plus de 60 kilos elles m’ont complètement oubliée. Comme si je n’existais pas avec leurs remarques désobligeante, j’en ai pleuré sans bruit. Je ne suis pas intervenue j’en ai pas vu l’interêt (…) La seule chose que j’aimerais un jour dire ce serait aux médecins j’ai une peur limite une phobie d’aller au médecin à cause de mon poids. Car ils veulent plus traiter ton poids que ta maladie et c’est inssuportable ! (…). Bah une fois j’étais horrifiée. Ma mère elle venait comme une fleur en me disant « hey le docteur … m’a dit qu’il pourrait te prescrire des pilules pour maigrir ! ». Je lui disait « mais tu veux vraiment que ta fille se drogue et se rende malade pour maigrir en prenant des MEDICAMENTS ?? ». Elle me disait « mais non c’est pas des médicaments ».

  • La grossophobie ordinaire : du langage et des représentations.

GROS PORC, GROS LARD, GROSSE VACHE, BALEINE, MAMMOUTH, HIPPOPOTAME, GRAS DOUBLE, GROS TAS DE GRAISSE …

Qu’il est habituel pour un gros de se voir dépeint en personnage GROssier ou GROtesque ! Parfois gros bêtas, quelques fois gros crados, souvent gros goinfres ! Dommage qu’il n’existe pas à ce propos de grand bêta, de mince bêta, de maigre bêta ou de petit bêta. Ah cet éternel gros infantile débordé par ses humeurs ! Ce gros paresseux, ce gros beauf n’est rien face à une fine ou une grande intelligence. D’ailleurs, il est vrai qu’on ne dit pas « grosse intelligence » mais qu’on a fait par contre de « grosses bêtises » puis de « grosses conneries ». De la grandeur des grosses pointures et grosses légumes, il ne faut plus se contenter que de la petitesse des gros bonnets et gros poissons, le premier terme étant aujourd’hui davantage utilisé dans le sens du second. Heureusement qu’il nous reste de grosses pointures car on en aurait le cœur gros nous les Gros-Jean comme devant ! Que nous faisons pâle figure devant les fines fleurs, les fines gueules et les fines mouches … Mais Euripide prévenait qu’une « conscience trop fine est plutôt un mal qu’un bien et nuit à la santé de l’âme ». En effet, que d’expressions péjoratives concernent les maigres qui longtemps dans l’histoire du pays furent de ceux qui n’étaient rien … Vous l’aurez compris, notre utilisation du langage et celui-ci lui-même comporte nombre d’expressions qui révèlent la position des gros-se-s et l’estime qu’on pouvait leur porter à un moment donné dans l’histoire. Alors que l’embonpoint était vu positivement d’où la construction de ce terme (en bon point, 16ème siècle), il a pris une tournure négative sous l’impulsion des médecins hygiénistes dès le 18ème siècle. Par ailleurs, il était aussi de bon ton de dire à quelqu’un qu’il avait forci et non grossi (idée de force). De même, ce terme a pris une tournure assez négative avec le temps.

Avec de tels termes, notre culture populaire en héritage s’explique mieux. Obélix l’infantile débordé par ses humeurs, Jacques Villeret le gros con du « diner de cons » … Que d’exemples pour montrer que le corps gros représenté n’est jamais neutre ! N’aviez-vous jamais remarqué que le gros est souvent dans les dessins animés l’ami un peu simplet du protagoniste principal quand il n’est pas représenté par une certaine vilénie ou cupidité qui le placerait dans le camp des méchants ? Parfois le méchant principal d’ailleurs. Mais avec le temps les scénaristes ont compris que le gros était trop stupide pour le rester et est devenu un sous-fifre grotesque dans la plupart des productions audiovisuelles. Par ailleurs, intéressez-vous aux musiques et sonorités : souvent quand un personnage gros entre en scène ou se manifeste, celles-ci se caractérisent par des sons graves, lourds, non-mélodieux qui accentuent un effet comique. Vous savez, un peu le genre « Elephant qui rentre dans un magasin de porcelaine ». Il y aurait surement une belle recherche universitaire à faire sur le sujet si elle n’a pas déjà été faite : en attendant, j’appelle ces sonorités, des sonorités « corpulentes ». La critique du gros idiot n’a que peu de sens. Theophile Gauthier, Victor Hugo, Honoré de Balzac, Churchill et tant d’autres accusaient un fort embonpoint mais furent des génies dans leur domaine. En fait, des raisons de classe et de morale existent (dès lors qu’on considère que la grosseur est déjà condamnée par les religions, ça commence mal) mais nous allons nous arrêter ici.

Je me souviens d’un commentaire sur un forum de jeux vidéo qui énonçait ceci « c’est toujours plus marrant quand quelque chose de malheureux arrive à un gros ». Je me souviens aussi des commentaires qu’a pu recevoir le Joueur du Grenier (Frédéric Mollat – un célèbre youtuber français) quand il est apparu amaigri dans des vidéos : « tu étais mieux avant », « je te trouve moins drole maintenant ». De manière moindre, ce genre de commentaire est aussi apparu concernant Laurent Ournac (qui restera dans l’histoire pour avoir participé à l’émission française qui aura le plus instrumentalisé l’image du corps gros de façon négative soit « Mon incroyable Fiançé »). En effet, le gros est déjà grotesque de nature donc inutile de surjouer de sa corpulence en faisant de grasses blagues. Les gros-ses doivent d’ailleurs avoir beaucoup d’auto-dérision. A peine osent-ils se plaindre que le feu des critiques s’accentue. Soit tu nous fais rire, soit tu fermes ta gueule. Voilà le triste destin des gros-se-s.

J’adjure aux gens de comprendre qu’il est important de tout politiser. Vous voyez, ne serait-ce que le trottoir ou l’on marche dans la rue peut se transformer en objet politique ! Pensons l’unité économique de travaux publics qui a réalisé ce trottoir, le marché public –et le possible ajout de clauses sociales en son sein- lancé par la mairie qu’elle a pu obtenir, les conditions de travail des salariés voire intérimaires, sa forme en entreprise ou en coopérative etc. Aussi, quand on pense cette insulte de « gros porc », bien sûr que des crétin-e-s la lancent sans réfléchir mais celle-ci relève en fait d’une histoire politique (ne serait-ce que si on pense les caricatures nombreuses représentant Louis XVI sous des traits porcins avec la fin de la monarchie absolue). Par ailleurs, ce phénomène d’animalisation qui reste horriblement banalisé concernant les gros-se-s  peut être rapproché de nombreuses insultes à caractère racistes que l’on peut encore entendre. Quand on insulte Christiane Taubira de guenon, quand on entend un policier banaliser le terme « bamboula », quand on pouvait entendre des militant-e-s d’extrème-droite user des termes « melons » et « ratons » à l’encontre de personnes d’origine arabe ou assimilées comme tel : l’usage de ce procédé d’animalisation comme celui qui tendrait à assimiler un stigmate (couleur de peau, adiposité) à un simple objet ou à une matière (exemple de l’expression « gros tas de graisse ») relèvent bien entendu d’une logique de rejet de l’altérité d’une personne humaine. Néanmoins, s’en tenir à cette analyse est insuffisant : il s’agit bien d’une logique exprimant un rapport de force dans la société. Après tout, il n’existe aucune insulte ou presque concernant des personnes minces (non-maigres), grandes (mis-à-part « asperge » mais cela n’est d’aucune mesure face à la stigmatisation des personnes considérées petites), considérées blanches etc. Concernant ce dernier terme, j’aimerais vous renvoyer à un bel article sur la construction sociale du terme noir : si l’on admet cette construction sociale, alors il faut penser la construction sociale du terme « blanc » qui reflète davantage d’une volonté d’imposer un rapport de force sur un critère moral (le blanc est la couleur de la pureté dans nos sociétés occidentales de tradition chrétienne) que d’une réalité esthétique –on en conviendra- même si, bien entendu, les personnes qui utilisent ces termes l’expriment de façon inconsciente. La même réflexion peut se faire concernant les personnes asiatiques représentées sous divers supports comme jaunes. En somme, décrire une personne par sa couleur de peau et y associer toutes nos représentations est une logique proprement raciste. Or, ce racisme ne peut se penser sans une perspective classiste : nous animalisations parce que dominant-e-s (souvent de manière offensive) ou parce que dominé-e-s (souvent de manière défensive). Que les personnes dont la couleur de peau est typée caucasienne ne s’offusquent pas de cette analyse : elle ne se fait pas contre elles mais doit se faire en bonne intelligence avec elles pour déconstruire le racisme insidieux qui touche, heurte les autres.

En 2011, un adolescent français, Jonathan Destin, victime de harcèlement scolaire s’est immolé pour en finir des souffrances qu’il endurait. Dans un article de presse[8], il relate son calvaire et relève une insulte doublée d’un jeu de mauvais goût sur son nom : « C’est ton destin d’être un gros porc ». L’animalisation des gros-se-s ne date pas d’hier. Nombreuses sont les représentations qui montrent notamment des hommes corpulents sous des traits porcins. Tant qu’elles visaient un groupe caractérisé par son opulence et donc sa domination, qu’elles transcrivaient une critique de classe, on peut se dire qu’elles ne causaient pas de préjudices particuliers. Or, comme expliqué précédemment, la sociologie a changé et les caricatures sont restées les mêmes accablant de tout leur poids la vie d’un groupe surreprésenté dans les classes populaires.

Un témoignage spontané reçu en messagerie privé sur twitter peu de temps après avoir écrit de nombreux tweets expliquant à Nawak pourquoi son dessin était grossophobe.

J’ai passé tout mon collège à être jugé sur mon apparence. Sur ma rondeur. C’était devenu si « spécial » qu’il m’est arrivé que des mecs se donnent des défis comme « on va voir si tu arrives à toucher ses fesses sans dégoût » en essayant de les claquer en cours d’EPS par exemple. Sans consentement évidemment. J’étais devenue une bête de foire, plus qu’une fille ou un être humain.. Aujourd’hui encore j’entends beaucoup de propos grossophobes de la part de tout le monde, même d’autres gros qui ne parviennent pas à assumer leur poids et se comparent à moi pour se dire qu’ils ne sont pas si gros que ça. J’entend des choses comme « tu devrais trouver un psychologue et te libérer. Tu dois maigrir ou alors tu trouvera jamais de travail. ». Parfois on me crache dessus dans la rue, ou on m’agresse physiquement ou verbalement. De plus, certains hommes et femmes désespérés viennent à moi en me pensant désespéré ou accablée par ma situation et tente de profiter de moi en étant à la recherche de personnes sensibles, qui tomberont dans le panneau. Si bien que je n’ose presque plus sortir malgré le fait que j’assume mon corps.

  • De la société obésogène et grossophobe : une analyse classiste et féministe

Avant d’aller à l’analyse proprement dite, il est temps d’analyser toutes les discriminations et stigmatisations que les gros-se-s peuvent expérimenter en France (liste non-exhaustive) :

  • Harcèlement scolaire (des sociologues américains ont également noté des biais négatifs dans l’orientation des écolier-e-s gros-se-s aux USA.)
  • Harcèlement de rue
  • Harcèlement intra-familial
  • Représentations négatives dans la plupart des médias destinés tant aux adultes qu’aux enfants (associant notamment la grosseur à des comportements, des attitudes qui renvoient à la figure du gros évoquée dans le point précédent).
  • [Grossophobie médicale] Infantilisation des professionnel-le-s de santé pouvant aller du simple ton paternaliste à l’erreur de diagnostic due à une focalisation excessive sur le poids d’un-e patient-e.
  • [Grossophobie médicale] Matériels et vêtements d’hopitaux inadaptés (on rappellera utilement ici que le service public hospitalier … est un service public !)
  • [Grossophobie et assurances] Plusieurs assurances (et maintenant quelques mutuelles) surtaxent les personnes obèses par calcul de leur IMC (cela peut donc avoir des répercussions dans le domaine de l’accès aux soins, au logement etc)
  • [Grossophobie et travail] Discrimination à l’embauche.
  • [Grossophobie et travail] Discrimination au salaire.
  • [Grossophobie et travail] Discrimination dans l’avancement de carrière.
  • [Grossophobie et industrie de l’habillement] Tailles de vêtements allant très rarement jusqu’au XXL voire 3XL dans la plupart des magasins obligeant les gros-se-s à les commander sur internet ou à aller dans des boutiques spécialisées ou ces vêtements peuvent couter excessivement cher. On peut analyser ces choix comme une volonté marquée d’exclure les gros-se-s de certains magasins (parce que l’argument du coût pour l’enseigne ne marche pas). Certaines enseignes renchérissent par ailleurs le coût des vêtements grandes tailles (Fat Tax) alors que tant que le coût réel de production et les marges réalisées ne le justifient pas.
  • [Grossophobie globale] Equipements et infrastructures non-adaptées (prenons le cas des chaises à accoudoir qui, politiquement, sont davantage des instruments de normalisation qui n’ont également que pour effet d’exclure davantage les plus gros-se-s de certains espaces).

Autant de raisons qui permettent d’affirmer que la grossophobie est bien une oppression systémique autonome (vous trouverez dans la partie 3 un lien menant à un article la définissant). Bien entendu, des personnes gros-se-s ne pourront jamais connaître ces discriminations car elles s’appliquent davantage aux personnes les plus gros-se-s et davantage aux femmes sur nombre de domaines. Vous savez, quand j’ai commencé à réellement m’intéresser à la grossophobie, je n’étais pas partisan de considérer la grosseur comme une identité sachant que j’ai pu être mince (certes, pendant 6 mois à peine) et que je me refusais à faire un parallèle avec d’autres oppressé-e-s pour la raison que certaines personnes arrivent bien à mincir durablement quand changer d’origines et de couleur de peau, par contre, semble beaucoup plus difficile. Cette attitude a notamment pu être analysée par Erving Goffman dans son ouvrage « Stigma : Notes on the Management of Spoiled Identity » qui fait la différenciation entre les Pré-Stigma (en l’espèce, des personnes qui auraient été gros-se-s toute leur vie) et les Post-Stigma (en l’espèce, des personnes qui auraient été gros-se-s qu’a partir d’un certain âge par exemple). Ainsi, ces derniers auraient davantage tendance à se considérer comme des personnes fautives, à survaloriser leur propre responsabilité individuelle alors que les Pré-stigma considéreront plus facilement leur propre stigmate comme une part de leur identité. C’est par ailleurs ce qui a pu m’opposer initialement à certain-e-s militant-e-s anti-grossophobie. Dans cet article, vous aurez remarqué que j’évoque beaucoup l’idée d’apologie de humanité … Qui peut faire sourire tellement cette notion peut, au premier abord, ne rien signifier. Pourtant, ce concept a un profond contenu politique et davantage quand on intériorise ces souffrances et misères que nous voyons dans la rue, à la télévision et qu’elles nous indiffèrent plus. L’erreur serait de considérer des personnes stigmatisées avec une empathie condescendante, comme si nous aurions des devoirs envers elles. Ceci n’est pas la conception que je me fais de la solidarité populaire. Au contraîre, c’est vers le respect et l’égalité que notre sens des relations humaines doit converger. Ainsi, c’est parce que nous adoptons cette vision que nous pouvons considérer que les gros-se-s qui luttent contre la grossophobie dans tous les domaines sont légitimes à le faire. Non pas parce qu’ils.elles se reconnaîtraient dans une Fat identity mais parce qu’ils.elles ont en commun de contester la construction politique, sociale de leur corpulence comme stigmate dans une société objectivement grossophobe. A partir de là, les basses considérations sur le poids des un-e-s et des autres s’envolent et cette maudite tolérance devient respect.

« La tolérance ne devrait être qu’un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer c’est offenser. »

Johann Wolfgang von Goethe

A ce propos, j’aimerais reprendre cette citation pour déconstruire un autre concept et vous laisser celui-ci en réflexion : « Le vivre-ensemble ne devrait être qu’un état transitoire. Il doit mener à la citoyenneté égale et partagée. Le vivre-ensemble suppose l’inégalité et les monopoles confirmés ». En évoquant les inégalités et monopole, il est maintenant temps de revenir à l’objet de cette partie. Ce qui est intéressant dans l’étude de la condition des gros-se-s, c’est de voir le renversement sociologique amorcé au début du 20ème siècle de surreprésentation dans les classes dominantes à celle dans les classes dominées. Si je ne m’abuse, il s’agit par ailleurs des seuls oppressés systémiques qui ont pu être à un moment dans l’histoire dans les classes dominantes. Néanmoins, leur position dans les classes dominantes n’empêchait pas leur propre stigmatisation par d’autres dominant-e-s. Ainsi, des historien-ne-s notent que dès la période de la Grèce antique, les hommes gros étaient décrits par leurs homologues comme « stupides et cruels ». Aussi, si l’embonpoint masculin n’était pas critiqué en tant que tel, la polysarcie générale (qui deviendra obésité) l’était dès lors qu’elle devenait handicapante. Néanmoins, la grosseur masculine restait un signe de distinction sociale … Jusqu’à l’apparition de la société de consommation, de la « démocratisation » des métiers sédentaires et au fond, de l’apparition de gros-se-s dans les couches populaires de la société. L’histoire est souvent écrite par les vainqueurs, et les vainqueurs ayant été de tout temps des hommes (de pouvoir), la condition des femmes gros-se-s à travers l’histoire est plus difficile à définir. Cependant, il est incontestable que la corpulence des femmes ait été moins sujette à la tolérance que celle des hommes au sein même de l’aristocratie quand bien même les tableaux de Rubens montrent des femmes en chair. L’apparition de corsets de plus en plus serrés, la maigreur comme signe de distinction tant sociale que morale, entraîna très vite la déconsidération des femmes gros-se-s mais il faut le voir sous le prisme d’une société encore plus patriarcale qu’aujourd’hui où les femmes les plus nobles devaient avoir une corpulence beaucoup moins marquée que celle des hommes (aux seuls hommes l’excès de Corpulens était permis). Par ailleurs, sans faire de comparaisons faciles, nous en sommes toujours à là : l’embonpoint reste davantage toléré chez les hommes que chez les femmes et encore plus dans les classes aisées.

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Infographie INSERM, 2016.

Et c’est, par ailleurs, pour cette raison que la maigreur voire la minceur est toujours un signe de distinction sociale chez les femmes que l’industrie de la minceur les a ciblées en priorité (à noter qu’elle était et est toujours tenue par des hommes). Le corps des femmes a donc été instrumentalisé par des hommes (mais aussi d’autres femmes soutenant ce projet d’industrie) à des fins de contrôle de leur corpulence et bien sûr d’enrichissement personnel. Si les classes les plus proches des classes aisées ont pu souscrire très vite aux principes de cette industrie, le bon sens des classes populaires les a longtemps maintenus en dehors. Aussi, les femmes qui peuvent souffrir de Skinny-shaming (d’une stigmatisation concernant leur maigreur) sont surtout des femmes des classes populaires et j’émets l’hypothèse que celles-ci sont instrumentalisées par d’autres femmes provenant des classes aisées contre les militant-e-s de la Fat Acceptance à des fins de relativiser le stigmate lié à la grosseur. A ce propos, je crois qu’une seule solution est possible : prôner encore et toujours la solidarité sociale et politique de toutes les corpulences.

Quand j’évoque la société obésogène, je pense bien sûr à tous ces fast-food, à cette dépendance qu’une grande partie de la population a malheureusement développé vis-à-vis de l’industrie agro-alimentaire qui mets acides gras transgéniques et sucres ici et là, réclame sans cesse des allégements de normes et refuse toujours d’être évaluée à la qualité nutritionnelle de ses produits (qu’elle sait, en majorité, faible voire nulle). Je pense aussi à cette transformation brutale de nos modes de vie liée à une sédentarisation de plus en plus forte chez les classes populaires. Néanmoins, je pense surtout à cette société des milles précarités matérielles et affectives qui est un pilier méconnu et sous-estimé de la société obésogène. Qu’on se le dise, la précarité ainsi que le processus de précarisation amène à des compensations que l’on pourra trouver dans la nourriture (mais aussi dans d’autres produits que l’on pourrait qualifier de « réconfortants »). Et c’est la violence de cette société du précariat à vie pour les un-e-s et de l’opulence héritée pour les autres qui crée de manière systémique les malheurs que nous connaissons.

Pour apporter une touche poétique au propos précédent, j’aime souvent dire que notre corps est une sorte de journal intime à découvert dont les écritures seraient aussi marquées que des vergetures. En effet, le corps garde souvent les traces de nos addictions, de nos changements brutaux de mode de vie passes et présents : cela est vrai aussi pour le tabagisme, l’alcoolisme, les pertes et gains de poids brutaux etc. Et devinez quelle classe souffre le moins de tous ces maux que l’on impute si souvent à la responsabilité individuelle des individus et qui nous laisse nous combattre entre membres des classes populaires ?

Concernant la société grossophobe, elle est l’alliée essentielle de la société obésogène. C’est parce que nous avons une société grossophobe que les promoteurs-trices de la société obésogène peuvent nous ramener à notre responsabilité individuelle … et à l’achat d’un abonnement en salle de sport, d’une méthode d’amincissement particulière, de produits minceurs particuliers etc. Sans société grossophobe, la société obésogène ne tiendrait pas quelques années avant de s’effondrer. Par ailleurs, les îles du pacifique offrent aux capitalistes un laboratoire expérimental de ce que cela serait : un taux d’obésité dépassant les 70%, une population malade des produits transformés en provenance notamment des Etats-Unis. A partir de cet exemple, l’erreur serait de considérer que la société grossophobe soit un rempart propice à la santé publique alors qu’elle n’est qu’un moyen de plus pour quelques opportunistes de s’enrichir davantage. Le vrai problème, c’est la société obésogène ainsi décrite. Aussi, je précise que l’amincissement n’est pas grossophobe en soi pour ceux.celles qui douteraient de mon propos : c’est l’instrumentalisation de cet amincissement à des fins lucratives et donc d’injonctions à l’encontre des corpulent-e-s qui l’est.

Laurence Neuer, Harcèlement scolaire : « il faut faire basculer la honte du côté des harceleurs », LePoint.fr, 24 novembre 2016

« Tous les jours mes bourreaux m’insultent. On dit que je suis grosse, obèse, que j’ai une sale gueule avec mes lunettes, que j’ai d’énormes bourrelets et que cette graisse déborde… » Et puis, ce commentaire qui tue : « Mais va te SUICIDER »

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[La grossophobie tue] Se suicider … C’est bien ce qu’a fini par faire Brandy, une jeune américaine à peine majeure pour en finir avec le harcèlement quotidien, notamment à l’encontre de sa corpulence. Voir ou/et entendre le très bel hommage de Giulia Fois, chroniqueuse à France Inter.

 

  • En finir avec l’hygiénisme libéral, premier défenseur de la grossophobie et de la société obésogène.

Des esprits étroits et hypocrites libéraux nous expliquent que les gros-se-s seraient un problème car ils.elles coûteraient chers à l’assurance maladie et que de ce fait, les injonctions et pressions qu’ils.elles subiraient auraient une utilité sociale. Voilà encore cette terrible vision comptable de la santé des individus ! Celle qui aujourd’hui fait que des patient-e-s sont jeté-e-s des hôpitaux le plus vite possible, que les personnels soignants s’usent à la tâche mais aussi celle qui crée la grossophobie médicale. Cette grossophobie particulière qui crée tant d’erreurs de diagnostic pouvant entraîner des complications graves, qui stigmatise davantage les patient-e-s les plus gros-se-s avec son lot de matériels et de chemises inadaptées (on rappellera à ce propos que le service hospitalier est un service public qui devrait davantage s’adapter à la corpulence de tous.toutes les patient-e-s qu’espérer l’inverse). Cette grossophobie médicale qui, en rappelant constamment les patient-e-s à leur surpoids sur un ton paternaliste crée de véritables phobies médicales contraires à l’idée même de santé publique. Qu’on se le dise, s’enquérir du poids, des habitudes alimentaires et de l’activité physique d’un-e patient-e dans une approche bienveillante est une bonne chose. Ceci permettrait dans le meilleur des cas de rediriger celui-ci ou celle-ci vers des services, associations, ou ateliers spécifiques qui pourraient lui être profitable et avoir un effet positif en terme d’accès aux droits. Cependant, pointer du doigt en espérant un quelconque changement est une chimère ! Surtout, quand le.la patient-e peut souffrir de troubles du comportement alimentaire (TCA) ou de divers précarités tant matérielles qu’affectives (d’où l’importance d’une possible prise en charge psychologie remboursée par la sécurité sociale pour tous.toutes). Aux professionnels de santé qui pourraient lire ce texte, j’en appelle à votre responsabilité et à votre capacité d’écoute. N’importe quel ouvrage de sociologie sur la question est clair à ce sujet : la précarité et davantage la précarisation[9] sont des facteurs qui engendrent ou aggravent une surcharge pondérale. L’hygiénisme libéral que vous prônez collectivement est un échec, tant la prévalence du surpoids que celles des obésités ont toutes augmenté ces dernières décennies. Pourquoi ? Parce que l’hygiénisme libéral qui se traduit par une vision simpliste de la diététique ne prend pas en compte l’irrationalité de l’être humain soumis aux précarités ! Bien entendu, une personne originaire  d’un milieu aisé et n’ayant aucun problème matériel pourra davantage assimiler les comportements les plus vertueux mais comment les intégrer quand on ne sait pas comment finir le mois à peine est-il commencé ? Sociologiquement, et bien que vous pouvez être en contact avec des hommes et femmes précaires, je sais bien que votre corporation se traduit par une certaine homogénéité sociale. Néanmoins, elle ne doit pas être un frein à la bonne compréhension des enseignements de base des sciences humaines et sociales.

Alors quoi ? On attendrait patiemment que les patient-e-s grossissent jusqu’à atteindre un poids suffisant pour tenter la chirurgie bariatrique et ensuite la promouvoir ? Serait-ce ça pour vous la santé publique ? A savoir, considérer qu’au fond la seule politique en matière d’obésité qui prévaudrait serait celle qui consisterait à couper de manière définitive les 2/3 de l’estomac des patient-e-s les plus gros-se-s ? Vous le savez bien, la chirurgie bariatrique est encouragée car elle est certainement la manière la plus expéditive et surtout la moins coûteuse pour l’Etat de régler la question de l’obésité dans sa forme massive. En effet, bien que ce terme « massive » n’est pas satisfaisant, il est très certainement plus honnête que « morbide » qui renvoie aux comorbidités  médicales : or, un-e patient-e en situation d’obésité massive peut tout à fait n’avoir aucun diabète, aucune complication éventuellement due à son adiposité. Avant de répondre aux hypocrites libéraux mentionnés plus haut, il faut revenir sur la question de la pathologisation des corpulences. Cette pathologisation a des effets concrets que nous voyons chez les personnes grosses. Perte d’estime de soi, vision déformée de l’individu qui au fond se définirait davantage comme éternel malade ou patient-e (d’où l’utilisation excessive du terme « obèse » pour définir sa propre corpulence alors qu’il s’agit d’un terme proprement médical) plutôt que comme personne grosse. Sur les réseaux sociaux, on entend hommes et femmes énoncer même que montrer un corps gros et le valoriser serait faire une apologie de l’obésité. Soyons sérieux-se, ne serait-ce que deux minutes : est-il imaginable que dans notre société du culte de la minceur, le corps gros induirait une quelconque injonction à ce que les personnes prennent du poids ? Est-il imaginable que face à l’instrumentalisation des corps minces voire maigres surtout de femmes, musclés d’hommes par une puissante industrie de la minceur (4 Mds d’euros de chiffre d’affaire selon le cabinet Xerfi en 2014), de simples photos de femmes grosses souriantes et semblant fières de leur corps puissent avoir un effet similaire ?

En pathologisant les corps, on dénie la possibilité à des hommes et surtout à des femmes de pouvoir le valoriser afin de se le réapproprier, de l’aimer et d’en prendre soin. Aussi, j’aimerais attirer votre attention sur une étude parue dans la revue médicale The Lancet (qui ne peut pas être soupçonné d’être une filiale du journal l’Humanité) qui montre que l’indice de mortalité des personnes maigres … est bien supérieur à celui des personnes en surpoids et même des personnes obèses (en obésité dite commune ou modérée). Pourtant, être maigre n’est pas considéré comme une maladie. Je crois, sans me tromper, que la pathologisation spécifique du corps gros doit être analysée à la lumière d’un prisme de classe. Les personnes maigres dans nos sociétés occidentales sont surreprésentées dans les classes aisées (et davantage les femmes) alors que les personnes gros-se-s sont surreprésentées dans les classes populaires (de même, davantage les femmes). Je suis par ailleurs porté à croire que nombre de maladies qu’on associe habituellement à l’obésité viennent moins de l’excès d’adiposité que de comportements alimentaires et physiques. Or, dans une société grossophobe, les gros-se-s sont poussés à avoir des comportements qui ne favorisent pas une bonne santé à long terme. Récemment, un compte sur twitter associé à l’entreprise Orange (Le tour de Franz) et informant de manière humoristique sur la tour de France publiait une photo de personne grosse en train de faire du vélo avec un commentaire la stigmatisant. Nous l’avons vu précédemment, rien que l’idée qu’une personne grosse puisse faire du sport semble faire rire. Comment alors favoriser, toujours en accord total avec le.la patient-e, de bons comportements dans un tel contexte ?

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Un tweet supprimé suite à interpellation des militant-e-s anti-grossophobes de twitter.

 

Pour en revenir aux hypocrites libéraux, il y a plusieurs choses qu’ils.elles oublient en ne donnant que pour argument les dépenses de l’assurance maladie. D’une part, ils ne prennent en compte aucunement les recettes des industries pharmaceutiques, de la minceur voire d’autres industries pouvant profiter de manière lucrative d’enjeux liés au surpoids et à l’obésité (elles seraient par ailleurs très intéressantes à calculer). D’autre part, ils ne prennent pas non plus en compte les recettes des caisses de retraite puisque décédant plus tôt, les personnes gros-se-s seront moins touché-e-s par les politiques tant onéreuses que nécessaires de la dépendance. C’est d’ailleurs le propos tant d’un économiste du CNAM consultable à la fin d’une étude du Trésor Public sur le coût de l’obésité que de l’Institute of Economical Affairs (un think-thank britannique conservateur) qui, lui, a publié une étude intéressante prenant en compte ces recettes des caisses de retraite et concluant que les personnes gros-se-s ne coûtaient en réalité que très peu au système social britannique. Bien entendu, on ne peut véritablement pas se satisfaire que des personnes puissent décéder plus tôt quelle que soit la cause de cette prématurité. Aussi, c’est bien pour cela que cette vision comptable de la santé doit cesser et que les forces de gauche doivent s’unir autour de l’idée d’une sécurité sociale intégrale et élargie : vive le 100% pour tous et toutes !

Pour consulter l’étude du trésor public : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/12893_tresor-eco-2016 (voir étude concernée)

Pour consulter l’étude de l’Institute of Economical Affairs : https://iea.org.uk/media/obesity-costs-less-than-half-as-much-as-the-government-claims/

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Une différence notamment due au fait de prendre en compte l’espérance de vie mais qui bat en brèche l’idée que les individus obèses entraîneraient un surcoût pour l’assurance maladie. Une étude en France sur la question serait appréciable. Bien entendu, on ne peut pas se satisfaire d’une vision aussi libérale.

 

Ainsi, considérant que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré que l’obésité était une maladie en 1997, même année ou le surpoids défini par un indice de masse corporelle à 27,5 est passé à 25, considérant l’échec des politiques publiques de lutte contre l’obésité et l’inaction des Etats dont  l’Etat français contre le pouvoir de l’argent et l’essor d’une société de plus en plus obésogène et grossophobe, considérant le communiqué de presse de la World Obesity Federation qui n’a pris position qu’en mai 2017 sur cette définition de l’obésité comme maladie et sur des critères davantage politiques que scientifiques et considérant le propos précédent : oui, je considère que l’obésité n’est pas une maladie. Loin de moi pour autant l’idée de nier que l’obésité comme le surpoids puissent être des facteurs de risques et que l’obésité seule puisse être considérée comme une affection chronique de longue durée ce qui pourrait ouvrir davantage de droits aux personnes obèses (prise en charge médicale, psychologique voire physique par un coach sportif remboursé à 100%, oui on peut rêver). Pour reprendre la verve d’un orateur de gauche que j’estime beaucoup sans être membre de son mouvement politique (vous aurez deviné de qui je parle et davantage en regardant un beau remix de Khaled Freak[10]) : il y a alerte mes ami-e-s, n’écoutez plus les bonimenteurs, regardez de près ce qui va vous arriver si vous ne voulez pas qu’on tourne la page de cette période épouvantable ou on a cru qu’en compressant les personnes grosses et en les harcelant d’injonctions, sous couvert de fausse bienveillance, on les ferait magiquement s’amincir avec le temps. C’est tout le contraîre qui s’est produit ! ça fait 20 ans et certainement davantage que ça dure ! Est-ce que ce n’est pas le moment de dire que le problème, c’est celui de ceux qui sur ces personnes se gavent ? Ce n’est pas le problème des personnes grosses, ce n’est pas le problème des personnes qui les valorisent. Le problème, c’est Dukan, le problème c’est Uber, le problème c’est tous ceux et toutes celles qui promeuvent le capitalisme le plus sauvage et l’hygiénisme le plus libéral, le plus lucratif donc le plus imbécile. Et ils ont des noms, ils ont des adresses. L’humanité toute entière a besoin que les pays les plus avancés, ceux où le niveau de formation en sciences humaines et sociales est le plus élevé, ceux-là montrent l’exemple pour que les pays dits émergents où la prévalence de l’obésité est devenue encore plus prégnante que dans les premiers ne soit pas propice à un scandaleux marché ou sociétés obésogènes et grossophobes coïncideraient pour le plus grand malheur des personnes concernées !

Ami-e-s professionnel-le-s de santé, nous comprenons qu’une partie de cette grossophobie médicale pointée du doigt est due à la pression que vous pouvez avoir sur vos épaules, sur cette vision comptable de la santé qui vous écrase vous-mêmes. Aussi, pour les militant-e-s de l’égalité que nous sommes, nous vous apportons soutien et force dans vos propres luttes ! Néanmoins, j’aimerais vous renvoyer à votre propre serment, ce fameux serment d’Hippocrate que certains et certaines d’entre vous trahissent par oubli ou pur mépris :

«          Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité. »

Comme écrit précédemment, comment croire que vous promouvez la santé dans tous ses éléments quand certaines et surtout certains d’entre vous pratiquent un discours paternaliste qui renvoie la personne à son surpoids qui est alors considéré, sous le prisme de l’hygiénisme libéral, comme un cuisant échec dans le contrôle de la corpulence que celui-ci promeut ? Comment croire que vous promouvez la santé dans tous ses éléments quand des lois anti-sociales passent – précarisant sur les plans matériels et mentaux davantage les classes populaires et plus globalement une grande partie de la société –  et que nous vous voyons terriblement silencieux ? Mesdames, messieurs les professionnel-le-s de santé, vous êtes dotés d’un savoir précieux, vous êtes nos soignants, notre orgueil ! Comment pouvez-vous ne pas prendre position de manière collective sur ce grand mouvement d’ubérisation qui touche toute notre société ? Sur cette société de plus en plus obésogène et de plus en plus grossophobe qui conduit à des comportements, à des attitudes qui ne promeuvent aucunement la santé publique mais le mal-être généralisé ? Enfin, comment pouvez-vous cautionner cette grande promotion de la chirurgie bariatrique alors que nous parlons parfois de couper les 2/3 d’un organe sain ? Quelle est votre vision de l’humanité pour laisser faire cela alors que d’autres solutions pourraient être à construire si nous sortions collectivement de cette vision comptable de la santé et si nous nous battions, tout aussi collectivement contre le pouvoir des corporations financières ? Bien sur, il y a beaucoup de personnes que la chirurgie bariatrique a aidé et j’en suis conscient. Néanmoins, cela ne peut raisonnablement pas être l’alpha et l’oméga des politiques publiques de santé concernant la corpulence !

« Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. »

Si nous nous réjouissons de la sanction par le Conseil National de l’Ordre des Médecins, des médecins-nutritionnistes Pierre Dukan et Jean-Michel Cohen, nous pouvons nous demander pourquoi une telle sanction n’est pas prise plus tôt et de manière systématique. Comment pouvez-vous tolérer que vos confrères voire vos consœurs publient des livres, s’enrichissent avec des méthodes discutables et soumises à aucun contrôle indépendant et utilisent leur savoir, votre savoir qui doit rester l’orgueil précieux de votre corporation pour asséner un discours paternaliste et faisant de la diététique une science qu’on pourrait qualifier de bourgeoise ?  Qu’il y ait des divergences dans certaines appréciations diététiques et plus globalement scientifiques, elles doivent rester cantonnées au sein de débats dans des revues spécialisées, dans les facultés (je ne vous ferais pas l’offense d’écrire Unité de formation et de recherche) de médecine, et au sein de votre corporation. De même, comment pouvez-vous tolérer la présence de vos confrères et consoeurs dans les conseils d’administration et scientifiques d’organismes lucratifs chargé de promouvoir une technique d’amincissement ? Je vous rappelle que nombre d’hommes et surtout de femmes échouent à perdre du poids et cela peu importe la technique : en participant à ce genre de conseils, c’est votre savoir qui peut être remis en cause et qui, de fait, l’est pour les raisons énoncées plus haut.

« Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services  qui me seront demandés. »

Il faudrait alors nous expliquer comment l’on peut concilier l’indépendance de la recherche médicale avec des financements de multinationales. Celles-ci allant d’ailleurs jusqu’à financer les associations de patient-e-s (Coca-Cola pour l’association française des diabétiques) qui devraient être totalement, et j’insiste sur ce terme, indépendantes. Evidemment, je connais la difficulté de trouver les financements nécessaires à une recherche quand l’Etat n’a pas le courage politique de prendre davantage aux industries pharmaceutiques (Big Pharma) et les laisse choisir quels hommes et femmes travailleront sur un sujet sans inquiéter leurs profits.

En somme, beaucoup de questions vous sont posées et peut-être certains et certaines trouveront mon discours simpliste ou/et facile. Néanmoins, véritablement, la question de la politisation de votre corporation en faveur d’une vision sociale de l’hygiénisme me semble cruciale. Nous, les militant-e-s de l’égalité, nous ne demandons simplement des médecins, nous appelons de nos vœux à ce que le plus grand nombre d’entre vous deviennent des médecins du peuple ! Encore une fois, je me permets de reprendre la verve de l’orateur [11]au profit de ce discours : Jamais autant qu’à présent, il faut réfléchir à cette question et prendre vos décisions, non sur des mouvements d’humeurs ou des apparences  mais sur une réflexion approfondie sur ce que vous voulez que soit le discours de votre corporation dans les années qui viennent, à mesure qu’avancent les sociétés obésogènes et grossophobes et ce mal-être généralisé, cette société aux milles précarités. Réfléchissez, et il est temps par-dessus tout de mettre un terme à la grossophobie médicale.

Il est vrai que je ne suis pas médecin. Néanmoins, nous vous entendons souvent énoncer -avec les cadres de santé et hommes, femmes politiques concerné-e-s par cette question- qu’il faudrait mettre le.la patient-e au cœur des politiques de santé ou d’autres phrases similaires qui, politiquement, ont du mal à signifier quelque chose. Eh bien, commencer à le faire, ce serait déjà avoir une relation d’égal à égal avec eux.elles (et non un rapport ascendant) et les écouter réellement. Que ce soit dans leurs témoignages, leurs complaintes mais aussi leurs plaintes. Bien sûr, en tant qu’usager-e-s et aussi par l’intermédiaire des associations de patient-e-s mais aussi en tant que citoyen-ne-s interessé-e-s. Le titre de cette partie évoque le caractère premier de l’hygiénisme libéral dans la légitimation de la grossophobie. Sans le détailler tel qu’il le faudrait dans un article de nature universitaire, il faut savoir qu’en sciences politiques, il est un concept que les politistes nomment « La gouvernance des conduites ». Cette gouvernance est source selon l’idée foucaldienne d’un « bio-pouvoir » qui créerait notamment une « biopédagogie »[12] Aussi, les corpulences -et plus globalement les corps- seraient contrôlées par une biopolitique. Aussi, quand le médecin sermonne un-e patient-e sur son poids, il faut bien comprendre que cela n’apporte aucune valeur ajoutée aux sermons que cette personne a pu recevoir, et reçoit encore de sa famille,  de son entourage voire d’inconnu-e-s qui useront surement des mêmes termes que les soignants se résumant ainsi : « manger mieux, bouger plus. ». A titre d’exemple, l’intériorisation des campagnes « mangez bougez » par les individus participe de ce bio-pouvoir et de ce fait, les personnes gros-se-s subissent injonctions de tous cercles sociaux, industriels et politiques qui reprennent au fond un discours élaboré par les hygiénistes libéraux, impulsé par l’Etat et toutes autorités publiques, instrumentalisé par les industries à des fins marchandes et enfin intériorisé par les citoyen-ne-s. Quand ces dernier-e-s l’extérioriseront pour conseiller, par exemple, à une personne grosse de faire du sport, ils.elles participeront de la gouvernance des corps (body politics. A noter que certaines militant-e-s américain-e-s pro-fat acceptance utilisent en l’espèce l’expression Fat body politics). Le problème, c’est que le discours hygiéniste libéral ainsi intériorisé par l’ensemble de la population nie toute idée de construction sociale des corps et ainsi, sans avoir fait d’études particulières, certain-e-s citoyen-ne-s s’improvisent soit diététiciens, soit coachs sportif, soit psychologues … Soit les trois à la fois !

A ce propos, j’aurais un message tout spécialement pour eux.elles : Regardons-nous ! Nous sommes tellement imprégnés de cette idéologie capitaliste (dont l’hygiénisme libéral est un rouage) que nous nous mettons à classifier les individus sur une ou plusieurs échelles de valeur. Le corps n’est plus un construit social, il devient un capital à conserver voire à faire fructifier. On se met d’abord à juger sur l’apparence physique, puis sur un état de santé réel ou supposé, enfin sur ses comportements alimentaires toujours réels ou supposés … mais qui sommes-nous pour juger d’autrui ?

Croyez-vous sérieusement, ne serait-ce qu’une seconde, que dans notre société grossophobe être gros-se est un choix ? Croyez-vous que les gros-se-s prennent sciemment du poids pour le « bonheur » de se faire davantage discriminer ? Enfin, ne croyez-vous pas que les gros-se-s n’ont pas un travail, des études à mener et que de ce fait ils.elles seraient amenés à bouger autant que les autres ? Et quand bien même, ils.elles bougeraient moins comme d’autres personnes le feraient indépendamment de leur corpulence, serait-ce une raison pour les pointer du doigt et les ostraciser davantage qu’ils.elles ne le seraient déjà ?

Enfin, j’aimerais revenir sur des études de plus en plus régulières en sciences humaines et sociales qui pointent l’effet désastreux du “Weight Stigma”. En effet, depuis une étude de Puhl et Brownell (Université de Yales, 2006) portant sur 2449 adultes d’un groupe de soutien de perte de poids (national, non lucratif) de nombreux chercheurs.euses mettent en évidence que face à la stigmatisation de la corpulence, le premier réflexe n’est absolument pas de se mettre à perdre du poids … Au contraire, que cela soit pour les hommes ou pour les femmes, les premiers réflexes seront plutôt de se réconforter mentalement, de manger, de ne pas tenir compte de la remarque, de répondre avec humour (…) et de s’isoler, pleurer davantage que de se mettre à faire un régime.

Puhl, R. M. and Brownell, K. D. (2006), Confronting and Coping with Weight Stigma: An Investigation of Overweight and Obese Adults. Obesity, 14: 1802–1815. doi:10.1038/oby.2006.208

Par ailleurs, cette même étude conclut au fait que la fréquence de ce “Weight stigma”, en l’espèce, n’est pas genrée, c’est à dire qu’elle est la même pour les hommes et les femmes (en fait, les études plus anciennes divergent sur ce point comme le rappelle Rebecca Puhl). Par contre, les stratégies face au Weight stigma diffèrent. Aussi, je vous laisse consulter l’article et taper dans Google Scholar les termes “Weight Stigma” pour lire un ensemble d’études qui convergent sur cette idée que ce n’est absolument pas une bonne chose et que son effet est contre-productif par rapport à l’intention.

Passages choisis d’un article du journal Libération : “Elsa Maudet, Grossophobie médicale : « C’est une angoisse à chaque fois que je dois consulter », 8 janvier 2016.

Lors d’une consultation pour une angine, elle se voit rétorquer qu’elle va «crever jeune» à cause de son surpoids. Une autre fois, un gynécologue lui balance, sans l’ausculter, qu’elle n’aura jamais d’enfant car elle est trop grosse. «Ils sont persuadés qu’on a des problèmes de cholestérol, de foie. Ils sont surpris de ne rien trouver, raille-t-elle. Que vous ayez une cheville cassée ou un furoncle, ils s’en foutent. Pourtant, on peut se casser la jambe qu’on soit maigre ou gros.». « Bien sûr, le surpoids peut provoquer des soucis de santé. «Il ne s’agit pas de nier les problèmes liés à l’obésité», précise Daria Marx. Mais, selon Martin Winckler, ils ne se révèlent que «dans certaines circonstances» et «ce ne sont jamais des risques immédiats. C’est quand même plus dangereux de conduire sans ceinture ! » Et puis, le patient sait qu’il est obèse. Sa famille, ses amis, ses collègues, tout le monde prend souvent bien soin de le lui rappeler. De quoi lui ajouter de l’anxiété, or la prise de poids «est majorée par l’angoisse. Moi quand je suis anxieux, je mange, illustre Martin Winckler. Le rôle du médecin est d’abord de rassurer les gens. Quand on va voir le médecin, on va voir quelqu’un à qui on voue une confiance extrêmement grande, donc quand il vous manifeste son mépris, c’est doublement brutal.»

Pour conclure cette première partie, j’aimerais parler de mon cas personnel. Evidemment, il n’est pas représentatif des histoires et expériences de toutes les personnes grosses. Néanmoins, je sais qu’il saura faire écho aux cris et aux complaintes de mes frères et sœurs de misère.[13] Aussi, je crois que, parfois, un témoignage comme ceux recueilli et transcris précédemment permet de mieux arriver à faire une sorte d’apologie de l’humanité que j’appelle de mes vœux.

Mon propre témoignage

J’ai presque toujours été plus ou moins gros. Dès l’enfance, j’accusais un surpoids léger mais la pratique d’activités sportives me permettait d’avoir un poids stable et d’être davantage endurant dans l’effort que certains de mes camarades plus minces. Comme pour beaucoup d’autres garçons et filles gros-ses, j’ai subi les moqueries et insultes d’autres écoliers mais, dans le fond, cela n’a jamais été le pire. Les années passant, j’ai subi un quasi harcèlement d’un de mes parents – tombé dans l’anorexie – pour perdre du poids. Insultes, injonctions, manœuvres destinées à entamer mon estime corporelle, tout était fait pour que j’aie une sorte de déclic qui me permettrait de mincir alors que j’avais déjà développé des troubles du comportement alimentaire (TCA) et notamment une hyperphagie. Sans entrer dans le détail, cela a eu l’effet inverse et j’ai davantage pris de poids que perdu à la suite de nombreux régimes hypocaloriques (souvent les premiers que l’on fait ou que l’on nous impose quand on est enfant/adolescent-e).

Et puis, à l’aube de ma majorité, j’ai enfin fini par être ce que ce parent voulait : c’est-à-dire mince. Problème, j’avais moi-même développé un trouble anorexique (pas question d’anorexie mentale mais je ne mangeais plus qu’un ou deux yaourts par jours pour être sur de ne pas regrossir). Avec l’Université et un mode de vie beaucoup plus désorganisé, tout le poids a été repris en deux ans. Enfin, plusieurs évènements dramatiques (le décès brutal d’un de mes parents du, en partie, à ses conditions de travail, l’autre ayant failli le rejoindre par complication d’une maladie) ont achevé de me plonger dans un état psychologique difficile et un an et demi plus tard, je me réveillais avec plusieurs dizaines de kilos supplémentaires. A noter que récemment, et sans entrer dans le détail, on m’a diagnostiqué un trouble d’origine génétique qui peut – du moins- expliquer mon surpoids initial.

Quand les gens me voient dans la rue, ils ne connaissent bien sur pas cette histoire. Ils ne voient qu’un corps excessivement gros et peuvent parfois le pointer du doigt, médire sur lui que mon ouïe puisse le capter ou non. Et qu’importe que mon poids se soit stabilisé ou même que je perde, qu’importe que je mange désormais dans les mêmes proportions que tout le monde, que je marche et pratique des activités physiques, le jugement de la société est là et implacable.

La dernière fois que je suis allé chez mon médecin traitant, nous avons évoqué mon poids (c’était d’ailleurs l’objet de la consultation) et celui-ci, assez pressé de finir sa journée, a cru utile de me prescrire … Des antidépresseurs dont l’un des possibles effets secondaires était de réduire l’appétit. Cela alors que nous n’avons aucunement parlé de problèmes psychologiques. Heureusement, ayant pu voir les désastreux effets de ce type de médicament chez des personnes que j’aimais, j’ai jeté sa prescription et ne l’ai plus jamais revu. Terrible grossophobie médicale …

Conclusion :

Mes cher-e-s ami-e-s, mes camarades, nous devons faire cesser ces souffrances inutiles. Combien de messages ai-je lu d’hommes et surtout de femmes dont la stigmatisation de leur poids sont autant de douleurs psychologiques qui les amènent parfois aux troubles du comportement alimentaire, parfois au repli sur soi, parfois à des actes d’une violence infinie contre eux.elles même ?

Combien de larmes d’enfants, d’adolescent-e-s et d’adultes faudra t-il pour que cela cesse ? Combien de sourires crispés, de gènes et de sentiments de culpabilisation ? Oui, j’enrage de cette société qui pousse à accabler des personnes qui ne sont pas jugés par la valeur de leurs actes en société mais par ce qu’ils sont ou font pour eux.elles mêmes. J’enrage de cette société qui considère que tout est choix et responsabilité individuelle sans aucune analyse matérialiste voire même simplement sociale. Il y a des choix qui en sont et des choix qui n’en sont pas vraiment. Ces non-choix sont causés par toute sorte de précarités matérielles et affectives et bien que des milliers de contre-exemples puissent être trouvés pour toute situation, il y a des tendances sociologiques qu’il faut cesser de nier. Le propre des hygiénistes libéraux est par exemple de prendre les quelques personnes qui auront réussi à perdre du poids sur une méthode (malgré les 95% d’échecs qui seront balayés) et les valoriser à l’excès en espérant une émulation qui ne servira que leurs intérêts. Ainsi, ce n’est pas parce que l’on trouvera un jeune de banlieue qui aura réussi le concours de l’ENA que tout le monde pourra le faire. Ces exceptions ainsi valorisées servent simplement à justifier un système d’oppression (dans ce dernier cas, purement de classe, dans le premier aussi grossophobe que de classe). Alors que doit-on faire ? Arrêter de penser l’obésité comme un problème de santé publique ? Eh bien, je considère qu’il n y a aucun sens à combattre l’obésité pour un militant politique de gauche, par contre combattre la société obésogène et grossophobe sont bien des priorités. Oui, pour un militant de gauche, combattre directement le pouvoir de l’argent est une priorité car combattre l’obésité reviendra toujours dans les faits à pointer du doigt les personnes obèses. Bien entendu, je n’ai jamais écrit que la tâche était facile … Nous avons devant nous les puissantes industries du fast-food, agro-alimentaires, pharmaceutiques, de la minceur, et toutes les industries qui peuvent justifier le discours de cette dernière (par exemple celle de la mode en survalorisant et en instrumentalisant le corps des femmes minces/maigres et des hommes musclés –et seulement ces corpulences là- de manière à produire des injonctions directes ou indirectes).

Avec les médecins sensibles à une nouvelle approche sociale de l’hygiénisme, oui, les tenants des sciences humaines et sociales -véritables sciences et scientifiquement aussi “dures” que les sciences de la vie- doivent aider à formuler l’alternative grâce à la reconnaissance par les citoye-nne-s et pouvoirs publics de leur apport concernant ce débat.

Terrible pouvoir de l’argent, terrible capitalisme … Il est grand temps de redevenir humain-e-s (pris dans son sens moral) avant de finir tous.toutes broyé-e-s par son idéologie moralisante qui nous pousse au mépris et à l’égoïsme. Oui, travaillons ensemble à faire cesser définitivement les larmes.

II/ Pourquoi le dessin peut être qualifié de grossophobe : une reprise implicite des codes de l’extrème-droite libérale.

1er niveau de lecture : C’est le niveau de lecture que les partisan-e-s de Nawak croient que nous avons eu. A savoir, ne considérer que la grosseur du personnage et les stéréotypes associés sans comprendre qu’il s’agissait surtout d’une critique de notre société de consommation et que le corps gros ainsi instrumentalisé n’avait pas pour but de véhiculer des stéréotypes. Que la caricature était en soi si grossière qu’elle ne pouvait d’ailleurs pas en véhiculer.

2nd niveau de lecture (avec contexte surconsommation) : Ce niveau de lecture est revendiqué par Nawak et ses partisan-e-s comme le seul acceptable sachant qu’il reflète l’intention initiale de l’auteur. Pour l’explication, voir ci-dessus le 1er niveau de lecture.

3nd niveau de lecture (avec analyse politique et prise en compte contexte surconsommation et de la société grossophobe) : Il s’agit de ce niveau de lecture que les militant-e-s anti-grossophobie et sympathisant-e-s ont eu en grande majorité.

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Alors comme disait Nawak, il ne faut pas oublier le contexte même si le dessinateur est d’extrème-droite …

 

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si ça se trouve c’est une critique de notre société de consommation donc forcément ça ne peut pas être grossophobe.

 

Il faut bien comprendre que généralement, les caricaturistes de gauche dans l’histoire ont associé la grosseur masculine à l’enrichissement sans limite des capitalistes sur le dos des travailleurs et de la nature. En somme, il s’agissait surtout d’une critique de classe au service des dominé-e-s et sociologiquement, jusqu’à la seconde moitié du 20ème siècle, cela pouvait s’expliquer par la surreprésentation des gros-se-s dans les classes aisées et moyennes supérieures. Or, nous avons eu l’occasion de le rappeler, les capitalistes sont aujourd’hui davantage minces et les dominé-e-s davantage corpulent-e-s. Aussi, bien que cette image du gros patron reste dans notre imaginaire collectif et participe, d’une certaine manière, à créer de la grossophobie, il y a malgré tout cette critique de classe qui permet de bien préciser les intentions de l’auteur. Par ailleurs, il est intéressant de voir les libéraux critiquer ces dernières années soit « l’obésité » de l’Etat, soit celle du Code du Travail. En y réfléchissant bien, il s’agit d’une reprise de cette critique politique par l’image d’une corpulence pathologisée au profit des intérêts des dominant-e-s. Et cela est si bien fait que certain-e-s militant-e-s de gauche croient bien faire en répondant qu’en appliquant des mesures d’austérité, l’Etat deviendrait « anorexique », que c’est le capitalisme qui est obèse etc. Je le crois, ceci est une erreur fondamentale. Jouer sur cette idée de corpulences et de troubles mentaux (comme peut l’être l’anorexie) ne fera, d’une part, qu’accroitre dans les esprits la grossophobie et la pathologisation de la grosseur et d’autre part elle renforce aussi la psychophobie (aversion ou peur explicite ou implicite pour les hommes et femmes atteintes de troubles mentaux) à l’encontre des personnes touchées d’anorexie. En somme, tournons la page de l’usage de ces expressions et images insérées dans notre imaginaire collectif à des fins de critique politique.

Il faut savoir que les caricatures d’extrême-droite expriment également une critique de la grosseur. Ceci s’explique notamment par l’expansion d’une idéologie que je qualifie de « viriliste » et qui semble prospérer dans un certain forum de jeux vidéo aux forums populaires (malgré aussi la présence de membres aux sensibilités diverses). Le « virilisme » peut se définir comme la survalorisation des constructions sociales de genre des hommes et des femmes en plus de l’application d’un libéralisme débridé. Ainsi, on les voit notamment stigmatiser les personnes au RSA, considérer les femmes comme les alliées des hommes et non leur égale. Concernant les corpulences, il y a chez les virilistes une survalorisation de la musculature qui est aussi forte que leur critique de la grosseur (dans les faits, surtout de la grosseur féminine). Pour les virilistes, le corps est totalement un capital (à conserver, faire fructifier) et non un construit social. D’ailleurs, il y a un rejet de toute explication sociologique permettant d’analyser les inégalités sociales : tout est question de motivation, de force mentale et de biologie (en somme, ils reprennent à l’extrême l’hygiénisme libéral). Ainsi, ils rejettent de fait toute analyse de classe : les personnes au RSA sont des faignantes, celles gros-se-s aussi etc. Cela est notamment visible dans les caricatures du dessinateur Marsault dont certaines sont affichées dans cet article (sa page facebook montre des dessins autant explicites). Le principal problème du dessin de Nawak est qu’il reprend implicitement cette critique viriliste de la grosseur en réalisant un dessin où n’apparaît aucune critique de classe. De même, la caricature du gros idiot, sale, n’ayant aucune conscience de lui-même et d’autrui est une représentation populaire de l’extrème-droite viriliste pour les raisons évoquées plus haut. Ceux-ci ne voient que la société obésogène mais rejettent toute idée de société grossophobe (comme de société raciste, sexiste etc) et ne considèrent au fond la grosseur que comme une déformation inesthétique des corps masculins et féminins, un terrible défaut de paresse voire un trouble mental (une étude avec entretiens serait nécessaire pour confirmer ces dires mais c’est notamment ce qu’il ressortait de conversations twitter avec eux.elles).

Maintenant, analysons dans le détail le dessin de Nawak. Ce qui est intéressant dans celui-ci c’est que le personnage gros est assis au-dessus de l’Afrique. De là, on peut émettre plusieurs hypothèses :

  • L’auteur l’a fait pour englober tous les gros et non se livrer spécifiquement à la critique habituelle de la société obésogène Etats-unienne MAIS en critiquant ses effets dans d’autres régions du monde (d’où la présence de produits avec la marque Mac Donald ou Coca-Cola, la casquette rouge qui est aussi un symbole qu’on attribue aux USA).
  • L’auteur a intériorisé de manière consciente ou non l’idée que la sous-nutrition dans certaines régions d’Afrique (voire le développement économique difficile de celles-ci) est notamment due à la surconsommation supposée des gros-se-s.

De toute manière, Nawak a confirmé au fil de la conversation qu’il s’appuyait sur un imaginaire collectif (voir partie 3, un contexte pour excuse). Aussi, je me permets pour une analyse plus complète de vous rediriger vers le blog de Lau qui a déjà traité de la question. Maintenant, déconstruisons ensemble l’idée que les gros-se-s sont les premier-e-s responsables d’une surconsommation. Si nous nous plaçons simplement sur le plan de l’individu, ne croyez-vous pas que la personne musclée (il fallait bien trouver un exemple) qui mange beaucoup -à défaut d’utiliser des produits très protéinés -et qui en plus va en salle utiliser des appareils de cardio ne va pas t-elle consommer doublement ? Aussi, il faut bien distinguer le moment de la prise de poids et les périodes de stabilisation qui peuvent être beaucoup plus longues. Quand on stabilise son poids hors activité physique intense, que ce soit pour une personne grosse ou non, on ne mange pas plus que les autres dans les faits. Bien sûr, je pourrais évoquer les prises de poids dues à la génétique ou aux prises médicamenteuses mais je considère que vous avez déjà compris que nos détracteurs-trices (aux militant-e-s anti-grossophobie) ne se concentrent pas sur cela. Par ailleurs, il faut vraiment déconstruire une idée reçue : en France, non les gros-se-s ne vont pas plus au fast-food que les autres ! Aux Etats-Unis, cela peut se concevoir à cause de la généralisation du travail précaire et des repas pris … Dans sa voiture ! (Selon le CDC, 1/5 des repas des américain-e-s sont pris dans la voiture). Néanmoins, en France, et je le crois en Europe, ceci est une idée totalement reçue et il faut vraiment arrêter d’user de cette image. Et si vous voyez un jour une personne grosse dans un fast-food, pensez simplement que c’est une personne comme les autres et que comme vous elle n’a pas à être jugée sur le fait de consommer des produits alimentaires que l’on peut qualifier de « réconfortants ». Cela ne préjuge aucunement d’un mode de vie particulier.

De fait, comme explicité précédemment, nous avons une fracture entre une extrême-droite cautionnant le capitalisme et des militant-e-s de gauche le remettant en cause. En ne mettant pas la focale sur les corporations financières qui, en effet, poussent à la surconsommation (par le biais de leurs campagnes marketing, de l’obsolescence programmée), il n’est pas étonnant que Nawak se retrouve soutenu par Marsault ainsi que par le patron de la maison d’édition Ring (qui publie Marsault, d’extrème-droite). En effet, la condescendance dont il a fait preuve face à des militant-e-s de gauche est malheureusement assez typique de ce courant (voir partie 3). Il est bon ici de rappeler que se dire « de gauche » appelle à une exigence qui n’est pas commune à l’extrème-droite pour la raison principale que l’extrème-droite défend les privilégiés et les privilèges quand la gauche devrait défendre les dominé-é-s et combattre la construction sociale, politique de stigmates qui peuvent les toucher. A titre d’exemple, je me permets de vous montrer un sondage provenant de la fachosphère de Twitter en réponse à un propos de Beth Ditto durant une émission d’ARTE « la grossophobie n’est pas terminée, ça fait partie du sexisme, ça fait partie du capitalisme » (à noter qu’avant intervention des militant-e-s anti-grossophobie, la réponse « Capitalisme » n’était qu’a 3% …)

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III/ Les fautes de Nawak

NB : cette partie n’est réalisée que grâce aux tweets que Nawak a émis. Je le remercie, par ailleurs, de n’en avoir supprimé aucun (du moins, à ma connaissance). Edit : après avoir désactivé son compte, j’ai préféré me concentrer sur le fond que mettre des screens (cela est visible dans les derniers points).

  • La Condescendance originelle

Alors que de premiers commentaires stigmatisaient le caractère grossophobe du dessin, aucune réponse n’a été faite à ceux-ci. Par contre, alors qu’un compte twitter soulignait un possible plagiat, celui-ci a posté un tweet exprimant sa stupéfaction,  y accordant donc une attention plus forte. Cette indifférence justifiant un tweet exprimant davantage de colère à laquelle est répondue davantage d’indifférence. Et quand enfin, il se permet de répondre à nos remarques … Il se réfugie dans une non-réponse ! Pire, il insinue très vite que lui à une vraie vie,  sous-entendant que les personnes lui répondant n’en ont pas une (on aura compris l’idée que nous ne serions que des chercheurs-euses de polémiques sur twitter). Plus tard, il évoquera ses détracteurs-trices comme des personnes « en souffrance réelle qui déversent leur fiel sur les mauvaises personnes ». Nawak l’intouchable, le non-soumis à la critique ?

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  • Un contexte pour excuse

Les premières réponses de Nawak concernant le dessin proprement dit se focalisent sur un « contexte ». Nous avons déjà eu précédemment l’occasion de déconstruire cette idée de contexte donc il paraît inutile d’y revenir. Néanmoins, quelques tweets de Nawak semblent oublier le contexte grossophobe que nous avons tenté de lui rappeler. A noter que plus tard dans la conversation, il s’est prévalu de reprendre le caricature du film Wall-E mais même dans ce film les gros-ses n’étaient pas aussi caricaturés et l’épopée humaine prenait le dessus sur la caricature.

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Outre le fait qu’il assume le biais grossophobe, si je fais un dessin sur la surconsommation d’énergie à Paris en visant spécifiquement les boites gays et représentant ces derniers affectés par des produits illicites, ce sera pas homophobe ? Non, Nawak il a dit que fallait pas oublier le contexte.

 

  • Le concerné qui parle aux concerné-e-s ?

A cette étape du raisonnement, il faut expliquer avec pédagogie pourquoi des militant-e-s utilisent des termes tels que « allié-e-s », « concerné-e-s », « oppression systémique », « mansplaining » ou « homme cis ». Comme je l’ai évoqué dès le début de l’article, il se trouve que je suis un homme cis et j’ai moi-même été confronté à cette « violence » qu’est l’assignation à mon propre genre et à ses privilèges. Je me permets de mettre ce terme de violence entre guillemets car, indiscutablement, la véritable violence n’est pas celle que ses militant-e-s extériorisent mais celle que la société leur inflige et qu’ils.elles intériorisent. Il faut par ailleurs rendre grâce aux féministes-  notamment à celles afro-américaines (qui ont construit politiquement l’idée d’intersectionnalité) – et au mouvement « Queer » qui, de par cette forme de militantisme, nous poussent à vraiment penser les stigmates et les privilèges qui fondent la plupart des inégalités non-matérielles et matérielles de nos sociétés. En effet, en tant qu’homme, j’ai des privilèges qui sont inhérents à mon genre alors que les femmes n’ont quasiment que des stigmates. Aussi, les personnes transgenres ont cette particularité d’être rejetés tant par les hommes et les femmes qui ne le sont pas (cisgenres), et ce n’est pas parce que parmi les militant-e-s de l’égalité il se trouvera quelques camarades « tolérants » que cela ne deviendra moins vrai. Pourtant, les ami-e-s transgenres, de par l’acceptation simple de leur réalité, de leur humanité, nous poussent à penser davantage ces millénaires de construction sociale des genres masculins et féminins. Je crois que, dans les années qui vont suivre, nous aurons l’occasion d’avoir un grand débat en France entre tenants d’une humanité libertaire -rejetant de manière totale les constructions de genre- et ceux.celles qui défendront une humanité conservatrice sur cette même question. Actuellement, seule l’extrème-droite (et une partie de la droite) remet en question l’idée de genre mais je crois que les tenants de cette humanité conservatrice sont plus nombreux que les militant-e-s et sympathisant-e-s de ce courant politique et nul doute que les dignitaires de toutes les religions veilleront à grossir le rang de ses partisan-e-s.

J’ai souvent vu des personnes sur les réseaux sociaux faire une distinction entre féministes modérées et féministes extrémistes. On remarquera que ce sont le plus souvent des hommes qui font cette distinction : « avoir le même salaire, ok ! Mais déconstruire nos privilèges, ça jamais ! » Pourtant la logique est imparable : si un groupe à des privilèges, c’est que l’autre groupe a des stigmates. Et ne soyons pas hypocrites avec nous-mêmes : il ne s’agit pas d’une question de personne. Pour ma part, si je considère ma condition de privilégié dans notre société patriarcale, cela ne veut pas dire que j’en abuserais directement au détriment des femmes. Pourtant, imaginons que je sois amené à exprimer des idées avec force lors d’un débat avec une femme et que celle-ci se trouve en position de difficulté, serait-ce simplement dû à ma connaissance de la chose politique ou n’exercerais-je pas insidieusement ce que les anglophones nomment le « mansplaining » ? Si la réflexion sur le moment paraît difficile voire impossible, il faut vraiment se poser la question même si l’égo peut en prendre un coup. Je crois que c’est important. Dans tous les cas, il y a bien une chose que nous devons comprendre, nous les hommes, c’est que nous n’avons pas un seul mot à dire quant au mouvement féministe. Ces militantes s’organisent comme elles le peuvent et comme elles le veulent et il n’est pas acceptable d’entendre des hommes gueuler contre telle prise de position et pousser à la division de ce mouvement sur le seul fait qu’ils ne seraient pas en accord. La division entre féministes modérées et extrémistes n’a aucun sens. Je ne dis pas qu’il n’existe pas plusieurs courants au sein du mouvement féministe mais ce n’est pas à nous de faire les commentateurs politiques. Au contraire, l’allié féministe est justement celui qui ne fait aucune distinction et soutient ce mouvement dans son ensemble. A ce propos, je vois beaucoup d’hommes se qualifier de féministes et si je comprends le bon sentiment, je crois que c’est une mauvaise chose. Je crois que la distinction entre féministes (donc concernées) et alliés féministes est beaucoup plus judicieuse car elle permet d’éviter toute prise de parole intempestive d’hommes au sein d’un outil politique pensé, construit par des femmes, pour des femmes et en vue de détruire la société patriarcale.

Et arrêtons les comparaisons sans aucun sens. Il n y a aucun rapport entre le mouvement féministe et le mouvement masculiniste. Le mouvement féministe a un projet ou les hommes peuvent prendre leur place en tant qu’alliés, le mouvement masculiniste a un projet ou les femmes peuvent prendre leur place en tant que dominées. Le premier vise à déconstruire stigmates et privilèges en vue de l’égalité, le second à les renforcer en vue de l’inégalité. C’est bien là toute la différence.

Ceci étant dit, il faut maintenant définir ce qu’est une oppression systémique. Je crois que cet article tiré de Wikipedia le fait très bien. Elles ne sont pas si nombreuses, elles concernent, par exemple, dans nos sociétés occidentales (liste non-exhaustive) :

  • Le classisme / Pauvres et précaires
  • Le racisme / racisé-e-s
  • Le sexisme / Femmes
  • SIZEISM I La grossophobie / Gros-se-s
  • SIZEISM I [ ?] Le « Heightism » / Petit-e-s
  • L’homophobie / Homosexuels, bisexuel-le-s, lesbiennes
  • La Transphobie / Transgenres
  • Le validisme / Handicapé-e-s
  • La psychophobie / Personnes atteintes d’un trouble mental.
  • [ ?] Le « Ageism » / Notamment les jeunes

Le [?] signifie que je ne suis pas certain que le stigmate avéré puisse constituer une oppression systémique. Aussi, j’aimerais proposer aux camarades francophones de traduire ce terme de “Sizeism” par “Corpulentisme” : terme qui regrouperait alors toutes les formes de stigmatisation existantes concernant diverses corpulences (sans nier la spécificité de la grossophobie comme oppression systémique et du skinny-shaming comme stigatisation n’entraînant pas une oppression systémique pour autant)

Ainsi, une personne peut n’avoir aucun stigmate, un, deux ou les cumuler avec des effets multiplicateurs (d’où la pertinence de l’approche intersectionnelle des afro-féministes). Néanmoins, le principal problème de cette approche est la tentation de considérer les personnes selon leurs privilèges et stigmates uniquement et non pour ce qu’ils.elles sont dans leur individualité, leur histoire, leur personnalité etc. De plus, si j’ai mis en premier lieu le classisme en plus de l’écrire en caractères gras, c’est parce que je crois fondamentalement que c’est l’oppression systémique qui doit tous et toutes nous unir dans un grand mouvement de convergence des luttes (en espérant d’ailleurs vous retrouver dans les prochaines grandes manifestations contre la Loi Travail 2). Néanmoins, je crois aussi que si l’on pense sincèrement l’égalité entre tous.toutes, toute lutte doit être pensée de façon à créer des convergences car l’ennemi principal, nous le connaissons tous.toutes à gauche : c’est le capitalisme. Par contre, contrairement à certain-e-s, je ne me permettrais pas de donner de leçons sur la manière dont des individus ou des groupes le combattent. Vous savez, il est tellement omniprésent qu’il est devenu impossible de s’en extraire totalement et il n y a aucun jugement à donner quant aux personnes qui y contribueraient directement ou indirectement pour des raisons matérielles et/ou affectives. Par contre, contribuer à un grand festival des solidarités populaires, favoriser l’émergence d’une conscience de classe et participer encore et toujours à cette apologie de l’humanité diverse et libertaire oui !

Du coup, pour en revenir à Nawak, celui-ci a commis plusieurs erreurs :

  • Il a fait la distinction entre modérés et extrémistes évoquée plus haut.
  • Il n’a pas cherché à comprendre la signification politique de l’assignation à son propre genre et s’en est servi à des fins de victimisation.
  • Il a utilisé sa condition de gay et « d’ancien gros » afin de tenter d’invalider nos propos : ne comprenant pas du coup qu’on peut cumuler tous les stigmates possibles, une représentation oppressive grossophobe n’en restera pas moins une représentation oppressive grossophobe. Par ailleurs, être un concerné ne signifie pas qu’on ne peut pas produire d’images, de propos, de représentations oppressives qui vont alimenter sa propre stigmatisation ainsi que celle des autres concernés. En somme, nous ne te jugeons pas sur ce que tu es Nawak mais sur ce que tu fais et ce que tu as fait. Ce que tu as fait jusqu’à ce dessin laisse à penser que tu es un militant anti-discriminations, ce dessin ainsi que l’attitude que tu nous as opposé montre que ce n’est pas tout à fait le cas.
  • La victimisation et la reprise d’un terme d’extrème-droite.

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Question : Fabb ne se serait-il reposé que sur le pathos et la mise en exergue du tweet le plus virulent par Nawak ou aurait-il pris le temps de lire toutes les conversations avant de réaliser ce dessin ?

 

Face à la montée de la contestation vis-à-vis de son dessin, Nawak a pris la critique la plus violente en exemple pour aller poster sur Facebook un message empli de pathos indiquant qu’il allait prendre une pause. Toujours aucune remise en cause. Bien entendu, il ne précise aucunement nos arguments. Il ne fait que répéter en boucle que son intention n’était pas de faire un dessin grossophobe sans prendre même en considération le ressenti de ceux qui ont été heurté par son dessin. Aussitôt, il bénéficie d’une immense vague de soutien due à sa popularité et à ses dessins passés. Lui-même s’en targue dans une vidéo puis dans un de ses tweets, 1600 messages de soutien, 5000 likes sur facebook, 500 nouveaux followers: il a donc forcément raison. Si bien que même certain-e-s de ses partisan-e-s se demandent s’il n’a pas profité de cette polémique pour asseoir sa notoriété. Face à la figure du dessinateur oppressé par des gens qui apparemment lui en veulent personnellement (ce qu’il sous-entend et ce qui n’est pas du tout le cas de la quasi-totalité), d’autres dessinateurs lui prêtent main forte. Un dessin (Les dessins de Fabb) insinue par exemple que nous serions des fachos adeptes d’Hitler, le compte twitter « Vie de Carabin » (à ce propos connus avec les faluchard-e-s pour leur sexisme à toute épreuve) approuvant ce dessin et Nawak retweetant tant le dessin que la réponse de « Vie de Carabin ». Il invoque même le chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice pour signifier à tous.toutes qu’il bénéficie de son soutien après conversation téléphonique.

D’ailleurs, Nawak a aussi bénéficié d’un soutien de Raphael Enthoven qui s’est notamment récemment illustré pour avoir critiqué François Ruffin en écharpe de député-e pour avoir vendu le journal « fakir » quand son silence sur les hommes et femmes d’argent (en fait surtout les hommes) qui contrôlent les médias en devient assourdissant, critiqué les syndicats luttant contre le travail dominical et comparé sans scrupules Jean-Luc Melenchon et Marine Le Pen, gauche radicale et extrème-droite : on ne pouvait donc rêver meilleur soutien de gauche.

Mais là n’est pas le pire. Le pire, c’est quand un-e militant-e qui se dit de gauche se met à reprendre un terme instrumentalisé par extrème-droite pour le manipuler à sa sauce contre des militant-e-s de gauche. Ce terme tient en trois lettres : SJW (Social Justice Warrior). Si ce terme était initialement positif, il est devenu en 2011 négatif après une controverse Etats-unienne sur la misogynie dans la communauté des « gamers » et les jeux vidéos (gamergate). Or, avec le temps, les tenants de la ligne réfutant cette accusation de misogynie se sont politisés vers l’extrème-droite et nombre de sites s’interrogent sur un « trolling » qui ne serait que de façade et occulterait une véritable idéologie. Force est, en tout cas, de constater que l’utilisation de termes tournant en dérision certaines luttes visant une transformation sociale s’est démocratisé. A mon sens, il s’agit surtout d’une réaction conservatrice/réactionnaire à la politisation libérale (pris dans le sens américain) de communautés sur internet dont celle autour des jeux vidéo. En tout cas, il faut bien se rendre compte que ce terme vise en réalité surtout les féministes et alliés qui seraient partisan-e-s de déconstruire le genre (sous-entendu, contrairement à des féministes plus modérées mais nous avons vu l’erreur faite en créant la distinction). En France, ce mouvement a crée des émules sur le site jeuxvidéo.com. Malgré la présence de membres qui ont pu contribuer à la France Insoumise voire à d’autres mouvements de gauche, une part non-négligeable de ce forum a eu le temps de se structurer et de s’organiser en « meutes » (oui, Nawak, ici le terme est approprié) sur les réseaux sociaux afin de contrer les discours féministes. Aussi, je ne saurais trop vous conseiller d’aller voir sur YouTube les vidéos table-rondes avec Raptor Dissident, Croc-Blanc et d’autres, elles sont assez révélatrices de la structuration idéologique d’une extrême-droite sur les forums et réseaux sociaux. Par ailleurs, Nawak puisque tu sembles si prompt à utiliser le terme de SJW, pourquoi ne pas reprendre aussi le terme de “féminazies” de tes mêmes nouveaux soutiens ?

En bref, politiquement, utiliser ce terme de SJW contre des féministes est tout simplement scandaleux pour un-e militant-e de gauche. Par ailleurs, comme les détracteurs-trices des féministes leur reprochent les mouvements non-mixtes, voici une réponse tout à fait drôle à leur opposer.

“l’émancipation des travailleurs doit être l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes” Karl Marx.

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Avant de passer au point suivant, j’aimerais revenir sur une autre phrase remarquée de Nawak :

En reparlant du terme SJW « Je prends ce terme comme je le souhaite et je le conçois. Mais c’est vrai que je préfère « ado colérique gavé de préceptes US à la mode, tentant de donner un sens à son existence sur twitter ». Bon, passons sur la forme de l’insulte pour s’intéresser au fond. Aussi, je me permettrais une seule remarque : avec un tel esprit, je suis sur qu’un Nawak plus jeune aurait manifesté contre l’introduction du terme “gay pride” et de la notion de “pride” (fierté) au sein du mouvement LGBT sachant qu’ils viennent des US. Comme cette dernière notion a pu aider les LGBT à s’affirmer et à dépasser la honte pesante dans des sociétés homophobes et transphobes, les termes construits par les féministes sont autant d’outils de luttes voire d’émancipation comparables Nawak. En sous-entendant l’idée que certaines féministes – reprenant ainsi des concepts US certes – sont juste là pour te rendre honteux de ta condition d’homme … Je dois bien le dire, cela me fait un peu penser à La Manif Pour Tous (que tu as pourtant combattu) énonçant que les LGBT leur prendrait des droits (en fait des privilèges).

  • L’instrumentalisation de concerné-e-s contre d’autres.

Imaginez. Le producteur d’une publicité sexiste est face à plusieurs associations féministes qui accusent sa publicité de renvoyer une image dégradée des femmes et de renforcer une construction sociale de leur genre, à titre d’exemple, qui les conditionne aux tâches ménagères. On peut se dire que le producteur pourrait reconnaître son erreur et demander que sa propre publicité ne soit plus diffusée à la télévision. Pourtant, il décide d’instrumentaliser d’autres femmes en faisant du pathos pour que celles-ci répondent aux féministes que la publicité n’est pas sexiste. Vous trouvez cela condamnable ? Eh bien c’est exactement ce que Nawak a fait concernant son dessin grossophobe ! En effet, comprenant qu’avoir avec lui une majorité de personnes le soutenant n’était pas suffisant en soi, il a orchestré le renfort de personnes gros-se-s déjà habituées à la violence –l’ayant de fait totalement intériorisé- de notre société grossophobe. Bien entendu, je ne dis pas qu’il a demandé individuellement à ces personnes de le soutenir mais il a utilisé ensuite leurs propos pour tenter de taire la force de nos arguments. Ce que Nawak n’a pas compris (et cela est dommage pour une personne qui se dit « de gauche »), c’est que la question n’est pas celle d’une vérité qu’une majorité de la population appuierait ou une majorité d’une population concernée. Si cela était le cas, toutes les femmes seraient féministes, toutes les personnes selon leurs origines ou leur couleur de peau seraient anti-racistes … Bien sûr, c’est plus compliqué. Nous vivons dans une société où la grossophobie -et plus globalement la violence que peuvent porter des images- est tellement banalisée que son dessin apparaît comme une caricature comme on en verrait d’autres. Or, si un militant dit de gauche n’écoute même pas les militant-e-s anti-grossophobie comme il pourrait écouter des féministes, des anti-racistes, qui le fera ? Bien sûr, inutile de rappeler que les personnes concerné-e-s étant de fervents soutiens de Nawak, leur jugement était de toute façon subjectif. Comme je le lui ai écrit dès le début, j’appréciais son travail passé ce qui ne m’a pas empêché de protester contre le dessin en question. A ce propos, je me souviens notamment de l’intervention d’un homme, qui dans sa bio, avait écrit qu’il était Mister Bear (sous-culture gay valorisant des hommes marqués par une certaine pilosité voire grosseur) au Luxembourg et il se trouve que c’est en effet le cas. Ce représentant de la communauté Bear luxembourgeoise a donc soutenu Nawak malgré nos arguments. Evidemment, simplement se contenter d’écrire que Nawak étant lui-même gay, une sorte de solidarité de groupe face à ses détracteurs a dû lui sembler nécessaire est insuffisant. Aussi, j’aimerais rappeler à ce Mister Bear (qui m’a “courageusement” bloqué sans que le propos tenu soit en son encontre) que si, initialement, des hommes comme lui ont du se réfugier dans une sous-culture, c’est bien parce que la communauté gay était et reste terriblement grossophobe.  Faire des soirées et des saunas entre « Ours » c’est bien, le faire et en plus politiser ton propre mouvement, interpeller davantage les tenants de la culture gay pour diversifier les corpulences représentées voire participer au combat anti-grossophobie (même quand elle vient de militant-e-s LGBT), c’est mieux.

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  • Tourner en dérision/Salir un combat progressiste par des dessins : une reprise du “on ne peut plus rien dire” des fanzouzes d’Hanouna à l’extrème-droite.

Nawak a publié deux dessins en rapport avec cette polémique. On pourrait se dire que s’il a pu condamner la séquence homophobe de Touche Pas à Mon Poste malgré la puissance de feu des “fanzouzes” de Cyril Hanouna dont des hommes et femmes LGBT, il aurait pu comprendre le caractère grossophobe de son dessin et ne pas se réfugier derrière le fait de tourner en dérision l’exigence d’avoir un art non-oppressif. Il est aussi scandaleux pour quelqu’un qui se dit anti-discriminations de sciemment mélanger des stigmates réels et non-réels. Ceci montre bien à certains égards que Nawak semble sensible à certaines luttes progressistes (anti-homophobie par exemple) et totalement indifférent à d’autres. En bref, le poing levé soit parce que concerné, soit par charité avec quelques groupes opprimés mais c’est tout. Camarades, regardez la condescendance de cet homme …

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  • La provocation de trop :  Nawak le grossophobe confirmé.

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Après 3 jours de polémique sur twitter ou les deux camps ont épuisé tous leurs arguments, on pouvait penser que Nawak prendrait une pause et qu’on sortirait tous par le haut de ladite polémique. Et pourtant, il se décida à poster sur twitter ce nouveau dessin comportant une grossophobie aussi insidieuse que crasse. Alors que nous avions évoqué la possibilité de travailler malgré tout le sujet ensemble, j’ai alors décidé que cet énième manque de respect était la faute de trop.  Et alors que je n’avais jamais insulté Nawak de grossophobe par respect pour son oeuvre, j’ai en effet considéré que malheureusement et de façon certaine, oui Nawak était terriblement grossophobe.

  • En somme, un dessin et un dessinateur temporairement, et de façon logique, adoubés par l’extrème-droite.

Après les nombreux points évoqués, la réponse de Marsault se passe de commentaires …

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Nawak soutenu par un dessinateur …

 

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d’extrème-droite reprenant le SJW :/

 

BONUS-  Nawak, un cas de grossophobie pas si atypique ?

Comme j’ai pu l’écrire à Nawak, les ancien-ne-s gros-se-s sont souvent les individus les plus grossophobes par rejet ce qu’ils ont pu être et de cette intériorisation des stigmates attachés à leur ancienne condition. Un phénomène similaire peut notamment s’observer chez les naturalisé-e-s qui sont aussi souvent ceux.celles ayant les positions les plus dures concernant la question migratoire (dédicace à Manuel Valls). Néanmoins, je crois ne pas me tromper en disant que la communauté gay spécifiquement (donc pas les LGBT dans leur ensemble) et davantage celle habitant les grands centres urbains est terriblement grossophobe. Là aussi, une construction sociale peut l’expliquer : l’image du corps idéalisé (grand, musclé) dans cette communauté est aussi peu diverse, si ce n’est davantage, que celle du corps mince/maigre chez les femmes. Récemment, un article pointait le racisme spécifique à cette communauté. Je crois qu’une autre étude concernant la grossophobie serait souhaitable et, je le pense, très révélatrice. De même, je voyais il y a peu un tweet d’un journaliste corpulent montrant une capture d’écran où une autre personne -sur une fameuse application de rencontre gay- après avoir vu sa photo l’insultait sur sa corpulence. Quand j’étais adolescent, j’ai pu voir –sur le plus grand réseau social pour adolescent-e-s/jeunes adultes LGBT- beaucoup d’hommes maigres se trouver encore gros. Je ne pense pas me tromper en énonçant qu’il peut y avoir chez certains hommes gays une sorte de reprise de la construction sociale des corpulences par le genre à l’extrême. En somme, soit la maigreur, soit la musculature et non pas l’adiposité qui sera vue comme spécifiquement féminine et donc rejetée. Par ailleurs,  la communauté et la culture Bear (qui est donc une sous-culture de celle gay) s’est construite par rejet de la communauté gay et a voulu malgré tout reprendre les codes de la masculinité. Pourtant, il semble que même dans cette communauté, la grosseur ne soit de moins en moins un liant qui unifie (davantage la musculature et la pilosité) renvoyant les hommes jeunes et gros dans une sous-culture encore moins construite (les chubs/chubbys) et créant toujours plus de catégorisations, toujours plus de termes qui entraînent des discriminations au sein même de la culture gay (avec une communauté dont la base, il faut le reconnaître, est touchée par la “droitisation” de la société). Par ailleurs, ce dernier terme de « chubby » est lui aussi révélateur sachant que celui-ci était et reste davantage utilisé pour décrire des femmes gros-se-s … Quand je disais que l’adiposité était vue comme féminine ! (On peut aussi citer à cet égard des « modes » américaines comme le « truffle shuffle » qui consiste, pour des enfants, adolescents voire hommes gros à secouer son ventre nu pour amuser son entourage ou alors cette tendance à moquer les hommes gros qui auraient une poitrine développée).

Conclusion de l’article (réponse directe à Nawak) :

L’article s’intitulait initialement : “Nawak ou la gauche française des jeux, de la condescendance au flirt avec l’extrème-droite (plus jamais ça !)”. Pourquoi gauche « française des jeux » ? Parce qu’on ne choisit pas les luttes qu’on veut soutenir, les messages que nous voulons entendre ou occulter concernant des oppressions ressenties quand on se dit de gauche. De même, on ne choisit pas qui sert une lutte et qui la dessert. La violence exteriorisée dans les propos des militant-e-s pour l’égalité est d’abord une violence interiorisée des maux et oppressions de notre société. Aussi, il est de notre devoir de la comprendre et d’en tirer le fond politique pour contribuer à faire qu’un jour, ces violences cessent. Je sais bien qu’en plus des militant-e-s pour l’égalité, l’extrême-droite utilisera ce pamphlet pour moquer Nawak le dessinateur de « gauche » qui à la côte comme elle le fait déjà… Mais trop tard, une dernière leçon d’humilité est devenue nécessaire pour que, plus jamais, ce genre d’évènements ne se reproduise.

Nawak, nous ne voulons pas, comme Meursault l’affirme, faire que tu sois évincé de ce groupe d’hommes et de femmes qui de par leur talent oratoire, comique, artistique sont et demeurent l’orgueil de notre camp social. Nous voulons simplement te rappeler aux qualités premières que doivent, selon nous, avoir les militant-e-s pour l’égalité et l’émancipation humaine : la modestie, le respect et l’écoute de tous.toutes les oppressé-e-s.

Aussi, alors que de par ton irrespect, tu as contribué à trainer dans la boue le combat anti-grossophobie en plus de favoriser l’émanation sur twitter (et surement d’autres réseaux) de propos voire d’argumentaires grossophobes virulents, nous attendons de ta part des excuses sincères et publiques, seule condition pour sortir par le haut de cette polémique et tenter, avec des efforts et du temps, de reprendre aux yeux du plus grand nombre, une place de militant anti-discriminations (sous-entendu de toutes les discriminations, comme affirmé dans ta bio twitter) que tu n’aurais jamais dû quitter.

#UneReponseDeGauchePourNawak

Je me bats.

Mêm’si l’heure est parfois à la désespérance
Attendu que la frime gouverne et fait sa loi
Même si les années dans lesquelles on s’avance
Ont la couleur du triste et du chacun pour soi
Même si le bonheur n’est plus une évidence
Mais semble s’éloigner à chacun de nos pas
Même si l’on me dit que c’est perdu d’avance
Que le monde est ainsi et qu’on n’a pas le choix

Je me bats
Même si maintenant c’est être en résistance
Et risquer d’être seul(e) que d’élever la voix
Pour dire sans relâche l’incroyable arrogance
Des plus riches que tout, des maîtres d’ici-bas
Même si le normal, c’est l’infinie souffrance
Des enfants décharnés aux yeux vidés, sans joie
Même si le correct se nomme indifférence
Même s’ils parlent fort ceux qui baissent les bras
Je me bats

Je suis d’un temps d’espoir d’un temps de délivrance
Où l’on osait rêver, et les peuples là-bas
Faisaient tomber leurs chaînes et brisaient le silence
Oh les jolis printemps au parfum de lilas
Devant nous se levaient des matins d’innocence
Plus jamais il n’y aurait d’humiliés, de parias
Plus jamais d’esclavage, et plus de violence
N’était-ce pas simplement raison, dites-moi ?

Je me bats
Aujourd’hui les passants sous les néons sinistres
Vont chacun dans leur bulle et pressent un peu le pas
Les voyous brassent l’or, les bornés sont ministres
Et l’on met chapeau bas devant les renégats
L’époque est au commerce l’époque est aux combines
L’homme n’est qu’un objet que la finance broie
Le futile et l’idiot remplissent les vitrines
Cependant qu’au lointain ricane l’argent roi
Je me bats

Avec mes simples mots, avec mes pauvres armes
Avec les sacrifiés, les vaincus d’autrefois
Tous ceux qui n’avaient rien que leur sang et leurs larmes
Les mineurs les canuts les pioupious les sans-droits
Avec les femmes usées, petites sœurs de misère
Des bas quartiers de boue où se terrent les rats
Avec tous ceux d’ici qu’habité la colère
Avec les méprisés et ceux qui n’oublient pas
Je me bats

Si longtemps que j’aurai la force, qu’on le sache
De me tenir debout, de chanter, d’être là
Tant qu’il me restera une once de panache
Tant que dans mes veines un sang rouge coulera
Je me battrai encore et toujours et sans cesse
Pour saluer la vie qui palpite et qui bat
Et quand je m’en irai ce sera sans tristesse
Puisque d’autres viendront qui diront après moi
Je me bats !

Michel Bühler

[1] Cis pour « Cisgenre » par opposition à « Transgenre ». Ce terme a été repris parce que Nawak s’émouvait d’être oppressé par ses contradicteurs-trices car « homme blanc cis ». A noter que selon ces dernier-e-s, Nawak aurait notamment été transphobe par le passé. Edit : ce qu’il vient de confirmer récemment via l’un de ses derniers dessins.

[2] Fischler Claude. La symbolique du gros. In: Communications, 46, 1987. Parure pudeur étiquette, sous la direction de Olivier Burgelin, Philippe Perrot et Marie-Thérèse Basse. pp. 255-278.

[3] Trouvable sur le tumblr Laurenyay : http://laurenyay.tumblr.com/post/8711705310/fat-liberation-manifesto

[4] M.De Chiniac, Histoire des celtes et particulièrement des gaulois et des germains, pp230, 1771

[5] Revue des deux mondes, 1858.

[6] Garnier-Pagès, Dictionnaire poliitique. Encyclopédie du langage et de la science politiques,  pp455, 1842.

[7] Apparu pour la première fois dans l’article du Time « Behavior. The homosexual. Newly visible, Newly Understood » (1969).

[8]Byrka Delphine,  « Harcèlement à l’école. Le calvaire de Jonathan », Paris Match. 11/10/2013.

[9] Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l’obésité, 2005.

[10] Khaled Freak : Mélenchon – Le problème C’est Celui de Ceux qui Se Gavent

[11]  Khaled Freak : Mélenchon – Réfléchissez (Remix Politique)

[12] Wright, J. (2009). Biopower, Biopedagogies and the obesity epidemic. In J Wright & V.Harwood Eds), Biopolitics and the « Obesity Epidemic » : gouverning bodies (pp 1-14). New York : Routledge.

[13] Expression tirée de l’ouvrage d’Anne Zamberlan « Mon coup de gueule contre la grossophobie » (1994)

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